Le
damas ? / Qu'est ce que le damas ? / Le wootz / Mémoire
de H. de Luynes
MÉMOIRE
SUR
LA FABRICATION
DE
L'ACIER
FONDU
ET DAMASSÉES;
PAR
H. DE LUYNES,
MEMBRE
HONORAIRE DE L'INSTITUT.
PARIS
TYPOGRAPHIE
DE FIRMIN DIDOT FRERES,
IMPRIMEURS
DE L'INSTITUT,Rue Jacob, 56.
1844.
Ce
travail, résultat de longues recherches sur la fabrication
de l'acier fondu, a été entrepris dans l'espoir
de le voir servir, un jour, aux progrès de l'industrie
française. L'auteur s'estimerait bien récompensé,
s'il avait pu réussir à jeter quelques lumières
sur une question si importante.
Après
l'expédition des Français en Égypte, l'acier
damassé de l'Inde et de la Perse avait acquis une si grande
réputation, que l'on s'efforça de l'imiter, et de
fabriquer des armes blanches dont la qualité et la veine
ronceuse pussent rivaliser avec celles qui caractérisaient
les lames orientales.
Clouët
le tenta, au moyen du corroyage de lames de fer et d'acier de
diverses qualités ; mais aucun corroyage de cette nature
n'imite exactement l'acier fondu damassé.
MM.
Stodart et Faraday, Berthier, Mérimée, Bréant
et Fischer, obtinrent de très beaux résultats, soit
par l'alliage de différents métaux avec l'acier
fondu, soit par le mélange de la fonte avec la fonte oxydée.
Nous
avons essayé de nous rapprocher plus encore, s'il était
possible, des modèles justement estimés que l'Orient
a produits, en évitant, toutefois, leur fragilité
habituelle. Il ne fallait pas songer à reproduire toutes
les variétés d'aciers damassés reconnues
par les Orientaux ; ce travail n'aurait pas eu de limites (1)
nous avons seulement cherché par quels moyens on pourrait
imiter les meilleurs et les plus beaux aciers damassés,
appelés, en Perse, eski-hindi (vieux acier de l'Inde),
et fabriqués par le célèbre armurier Assad-Allah.
Pour
y parvenir, il fallait d'abord étudier attentivement la
composition des lames et des culots venus de l'Asie.
Les
analyses des échantillons de wootz et d'aciers damassés
tirés de l'Inde, de Constantinople, d'Alep et de Perse,
nous ont donné les indications suivantes :
ANALYSE
DE CULOTS ET LAMES D'ORIENT. 1 gramme.
1. Culot envoyé de Constantinople par M. de Franqueville
|
|
G.
|
Nickel
|
0,00790
|
Tungstène
|
0,00518
|
Manganèse
|
0,02180
|
Fer
|
0,83700
|
Carbone
|
0,12812
|
|
1,00000
|
Culot
parfaitement fondu, pesant 2k,500. Il a été doré
à la surface. Sa partie supérieure présente
une forte cristallisation, semblable à l'impression d'une
grosse toile. Tout le reste est uni et n'offre que de faibles
traces d'une scorie vitreuse verdâtre et contenant du silicate
de manganèse. Le métal, d'une extrême dureté
sous la lime, est très-fragile, et montre, à l'intérieur,
une cristallisation à larges lamelles entrecroisées
deux à deux. Il ne damasse pas après avoir été
forgé. Venu du sérail de Constantinople où
il était considéré comme fabrique en Perse.
2. Culot de wootz fourni par M. Lepage.
|
|
G.
|
Cobalt et nickel
|
0,0010
|
Fer
|
0,9010
|
Carbone
|
0,0980
|
Manganèse
|
traces.
|
|
1,0000
|
Très-petit
culot de wootz bien fondu, surface supérieure rayonnée,
extérieur lisse mais ondulé, dureté médiocre,
cassure à cristallisation fortement prononcée et
miroitante, ne damassant pas.
3.Culot de Perse rapporté par M. d'Archiac.
|
|
G.
|
Tungstène
|
traces.
|
Nickel
|
0,014000
|
Manganèse
|
traces.
|
Fer
|
0,873484
|
Carbone
|
0,112516
|
|
1,000000
|
A
la surface supérieure de ce culot on observe des fragments
de clous , qui ne sont pas entrés en fusion. Il est du
volume d'un œuf, assez rude, mais sans trou, et fortement oxydé
; le métal est beaucoup moins dur que celui du culot de
Constantinople. Son damassé est petit et faible
4. 2e Culot rapporté de Perse par
M. d'Archiac.
|
|
G.
|
Manganèse
|
traces.
|
Nickel
|
0,039355
|
Tungstène
|
traces.
|
Fer
|
0,875000
|
Carbone
|
0,085645
|
|
1,000000
|
Mêmes
observations que pour le culot précédent.
Scorie du culot précédent.
|
Silice
|
711430
|
Alumine
|
2085
|
Protoxyde de manganèse
|
26800
|
Protoxyde de fer
|
141017
|
Oxyde de nickel
|
traces.
|
Chaux
|
traces.
|
5.Culot d'Alep.
|
|
G.
|
Nickel
|
traces.
|
Tungstène
|
traces.
|
Manganèse
|
traces.
|
Fer
|
0,901
|
Carbone
|
0,099
|
|
1,000
|
Culot
très-mal fondu. La partie inférieure est fort aciéreuse,
mais un faisceau de clous est resté intact à sa
surface supérieure. Difficile à casser ; grain intérieur
semblable à celui de l'acier trempé, se forgeant
avec peine, et n'offrant que de faibles filets d'un damassé
argentin.
6. Échantillon de damas d'Orient forgé,
fourni par M. Lepage.
|
|
G.
|
Nickel
|
0,007000
|
Tungstène
|
0,010000
|
Manganèse
|
0,007034
|
Fer
|
0,867000
|
Carbone
|
0,108966
|
|
1,000000
|
7. Grande lame de poignard indien.
|
|
G.
|
Nickel
|
0,016
|
Manganèse
|
0,014
|
Tungstène
|
traces.
|
Fer
|
0,790
|
Carbone
|
0,180
|
|
1,000
|
8. Lame rapportée de Perse par l'ambassade.
|
|
G.
|
Nickel
|
0,007871
|
Manganèse
|
traces.
|
Fer
|
0,862129
|
Tungstène
|
traces.
|
Carbone
|
0,130000
|
|
1,000000
|
9. Lame ancienne de damas à incrustations d'or
|
|
G.
|
Nickel
|
0,02100
|
Tungstène
|
traces.
|
Manganèse
|
traces.
|
Fer
|
0,90142
|
Cobalt
|
traces.
|
Carbone
|
0,07758
|
|
1,00000
|
Ces
analyses font voir que les aciers de l'Inde et de la Perse contiennent
constamment certaines substances alliées au fer, mais en
proportions variables. Il faut observer aussi que le culot de
wootz et celui de Constantinople ne damassent pas ; de plus, ce
dernier est d'une dureté remarquable, difficile à
forger, et, après la forge, la pièce étirée
ne damasse pas davantage. Ayant reconnu que les autres culots,
imparfaitement fondus, montraient encore, à leur partie
supérieure, des clous de différentes formes, dont
les pointes étaient engagées, et la tête faisait
saillie au dehors, nous avons pensé que les Orientaux fabriquaient,
d'abord, une sorte de fonte très-fusible et très-dure
à cause de sa grande carburation ; qu'ensuite ils la ramenaient
au degré convenable d'aciération, par l'addition
de clous de fer doux, méthode qui devait offrir l'avantage
d'augmenter la masse du métal en le rendant plus ductile.
L'expérience
a confirmé cette conjecture. Un fragment du culot de Constantinople
ayant été soumis à l'analyse, nous a fait
connaître, par sa quantité de carbone, combien nous
devions y joindre de fer pour le transformer en acier 50 parties
de fer doux en clous, dits pointes de Paris, fondus avec 100 parties
du culot de Constantinople, ont donné un acier très-malléable,
qui, après avoir été étiré,
a pris un superbe damassé.
Le
wootz de l'Inde a subi la même épreuve avec le même
succès ; seulement son damassé était plus
fin et plus grisâtre.
Pour
arriver à une reproduction fidèle des procédés
qui nous semblaient avoir été suivis en Orient,
il fallait, d'abord, préparer une fonte bien carburée
et contenant du manganèse, du nickel et du tungstène.
Cette fonte devait être en proportions constantes dans ses
éléments, et obtenue par des procédés
qui pussent être familiers aux Orientaux. Tous les rapports
des voyageurs attestent que, dans l'Inde, le wootz se fabrique
en fondant du fer avec des tiges de cassia auriculata et quelques
feuilles d'autres végétaux. A défaut de ces
plantes, nous avons choisi une sciure de bois de chêne dont
nous avons établi, par des expériences, la teneur
en carbone 7gr,50 de cette sciure donnaient 1gr,40 de charbon.
Elle a été mêlée avec des quantités
de fer convenables pour dépasser la carburation de l'acier.
Il restait encore à réduire avec elle les trois
métaux qui se trouvent dans l'acier damassé, et
à rencontrer ceux-ci, dans un produit naturel, tous réunis
s'il était possible, ou l'un d'eux associé avec
le fer et les deux autres ensemble. Mais, jusqu'à présent,
la minéralogie ne nous offre pas une semblable combinaison.
Elle nous montre le fer et le manganèse dans le fer spathique
; le manganèse, le fer et le tungstène dans le wolfram
; le manganèse et le nickel dans la pyrolusite (2)
et dans beaucoup de minerais de manganèse.
Il
n'existe donc pas, dans l'état actuel de la science, un
minéral qui réponde à l'association demandée,
Cependant,
le wolfram présentait déjà deux des métaux
cherchés. Ce minéral n'est pas rare, même
en France ; il est facilement pulvérisable et réductible
par cémentation.
Les
Indiens et les Persans, par leurs communications avec la Chine,
connaissent le nickel ; et les Malais le corroient avec leur acier,
comme nous le dirons au sujet des lames de corroyage.
Les
Orientaux ne possédant pas les moyens de réduire
à l'état métallique, isolément, le
manganèse et le tungstène qui se trouvent dans toutes
leurs lames, ils ont dû employer ces métaux à
l'état d'oxyde naturel, et ont pu y joindre du nickel métallique.
Leur
procédé pour fabriquer la fonte ou l'acier très-carburé,
étant le traitement du fer à une haute température
par des végétaux, ils ont pu, à l'aide d'une
addition convenable de matières végétales,
fournir le carbone nécessaire à la réduction
du tungstène et du manganèse durant la même
opération.
L'expérience
a encore justifié cette opinion. Des quantités de
wolfram et de nickel combinées de manière à
représenter, et au delà, celles de tungstène,
de manganèse et de nickel, reconnues dans le culot de Constantinople,
ont été ajoutées au fer mêlé
de sciure, avec une dose additionnelle de sciure calculée
pour leur réduction (3). Après
quelques tâtonnements, il en est résulté un
acier très-carburé et très-fusible, dont
la scorie ne perce pas les creusets, et qui, refondu avec une
partie de fer doux, pointes de Paris, se forge parfaitement, offre
un beau damassé et prend une très-bonne trempe.
Voici
les opérations nécessaires pour produire un bon
acier damassé au moyen du wolfram :
No 1. On fond ensemble :
|
Fer très-doux, dit pointes de Paris
|
2,000
|
Wolfram
|
100
|
Sciure de chêne donnant 1,40 de carbone pour
7,50
|
175
|
Les
matières mélangées subissent une cémentation
au rouge clair. Après le grand feu, le culot se trouve
complètement fondu, offrant une forte analogie avec celui
de Constantinople. Quand il est parfaitement refroidi, il est
cassé en petits morceaux, et 100 de cet acier sont refondus
avec un poids égal de fer, pointes de Paris. Les culots
d'acier damassé obtenus ainsi sont très-propres
et faciles à travailler (4).
Le
fer que nous avons choisi est celui qui, dans l'industrie, s'approche
le plus de la pureté chimique ; tout fer doux et aussi
pur, bien divisé en tournures ou en copeaux, peut servir
au même usage. Nous avons supprimé le nickel, parce
que la pratique nous a montré que ce, métal n'était
pour rien dans le damassé de fusion, et nuisait souvent
à la qualité de l'acier. En effet, le fer, le nickel
et la sciure fondus par les mêmes procédés,
puis refondus avec du fer, ont constamment donné de l'acier
qui ne damassait pas. Il en est de même des alliages de
fer avec le carbone et le tungstène. Dans les alliages
de fer, de carbone et de cobalt obtenus par les mêmes moyens,
le cobalt passe en entier dans la scorie, et le métal damasse
bien. L'acide tungstique du wolfram ne paraît pas influer
sur la production du damassé, mais il empêche toujours
le percement des creusets par le silicate de manganèse
qui se forme infailliblement hors de la présence de l'acide
tungstique. Une faible quantité de tungstène se
réduit et passe dans l'acier ; mais la plus grande partie
reste dans la scorie qui est d'un gris verdâtre et corné.
N° 2. Fer, pointes de Paris
|
3000
|
Carbonate de manganèse
|
144
|
Wolfram
|
150
|
Sciure de chêne
|
270
|
Mêmes
opérations que les précédentes. Seconde fusion
du métal concassé avec parties égales de
fer, pointes de Paris. Mêmes résultats.
Selon
la quantité du wolfram, on est obligé, quelquefois,
d'y ajouter du manganèse pour rendre l'alliage plus fusible.
A l'état de carbonate, le manganèse fournit un oxyde
plus pur que le meilleur oxyde naturel.
Ces
deux procédés sont préférables à
tous les autres pour obtenir de bel acier damassé ; leur
résultat est très-certain. Comme la composition
ou les propriétés du wolfram, quelque pur qu'il
soit, offrent des dangers d'erreur et nécessitent quelques
essais à chaque fois que l'on emploie un nouveau wolfram,
il est bon d'en avoir une assez grande quantité que l'on
débarrasse de toute sa gangue et que l'on broie tout ensemble,
afin d'établir, d'avance et pour longtemps, les quantités
de carbonate de manganèse qu'on pourrait avoir à
y joindre.
Voulant
essayer d'écarter encore ce faible obstacle dans la fabrication,
il était essentiel de rechercher si l'on pourrait remplacer
le wolfram, en préparant chimiquement et associant au fer
et à la sciure les oxydes des trois métaux alliés
à l'acier damassé. Nous avons donc préparé
l'acide tungstique en grand par le traitement du wolfram dans
l'acide chlorhydrique bouillant, filtré, lavé et
desséché.
Le
manganèse a été employé à l'état
de carbonate, le nickel à l'état d'oxyde brun.
Les proportions étaient celles-ci :
|
Fer, pointes de Paris
|
1000,00
|
Carbonate de manganèse
|
48,03
|
Acide tungstique
|
10,00
|
Oxyde de nickel
|
10,00
|
Sciure de chêne
|
113,00
|
Fondu
comme les précédents, brisé en petits morceaux
et refondu avec une demi-partie de fer, pointes.
Les
culots donnent de beaux résultats ; mais ceux de préparation
sont troués, et l'acier damassé est un peu plus
difficile à travailler que celui provenant des préparations
faites avec le wolfram, minéral où les oxydes de
fer, de tungstène et de manganèse sont probablement
associés dans des conditions particulières. La suppression
de l'oxyde de nickel et du carbone correspondant n'a pas apporté
d'amélioration sensible.
Il
restait à essayer si l'absence de l'acide tungstique laisserait
encore à l'acier la faculté de damasser.
On a fondu ensembles :
|
Fer, pointes, de Paris
|
2000
|
Peroxyde de manganèse
|
100
|
Sciure de chêne
|
275
|
Le
mélange est cémenté au rouge clair une demi-heure.
La fusion ne dure que 40 minutes. On s'assure, avec un ringard,
si le métal est fondu, et l'on arrête aussitôt.
Autrement, le creuset se percerait, et le métal se perdrait
en s'épanchant au dehors.
Cette
fonte manganésée est cassée et réduite
en petits morceaux, que l'on refond avec parties égales
de fer, pointes de Paris. Les culots d'acier damassé sont,
très-sain et donnent une fort belle veine. Leur scorie
est vert-bouteille et très-riche en manganèse.
Ce
système, le plus simple de tous, est aussi le plus périlleux,
parce que, très-souvent, le silicate de manganèse
formé perce les creusets. Toute l'attention du fondeur
ne suffit pas pour éviter ce danger. C'est ce qui nous
a décidé, dans nos procédés habituels,
à employer le wolfram, dont la présence affranchit
de toute crainte à cet égard. Nous avons essayé,
auparavant, si l'acide tungstique, joint à l'oxyde de manganèse,
aurait les mêmes résultats que le wolfram.
Voici la préparation que nous avons tentée
:
|
Fer, pointes de Paris
|
1000
|
Carbonate de manganèse
|
96,06
|
Acide tungstique
|
20
|
Sciure de chêne
|
128
|
Mêmes
opérations de préparation. Métal concassé,
refondu avec parties égales de fer. Les culots de préparation
sont caverneux, et ceux d'acier qui en proviennent ont des trous
au centre. La scorie est souvent pierreuse, et empêche le
dégagement des gaz qui restent emprisonnés
dans l'acier. Le damas est beau et facile à travailler,
sauf les défauts du culot.
Un
autre procédé, fondé sur la décarburation
de la fonte, consiste à pratiquer les opérations
suivantes :
On
fond de la fonte grise que l'on coule dans l'eau froide, afin
de la rendre cassante. On la brise en morceaux, de la grosseur
de plomb à loup. On mêle à 100 de cette fonte
14 de manganèse (pyrolusite cristallisée) et 28
d'émeri. Ce mélange est soumis à une cémentation
de quatre heures à la température rouge. Lorsque
le creuset est retiré, la matière refroidie est
triée et débarrassée de l'émeri et
du manganèse. Ensuite, on la fond en un culot qui est brisé
en petits morceaux, de la grosseur d'une noisette, et refondu
avec une demi-partie de fer doux. Ce dernier culot donne un acier
facile à travailler, prenant bien la trempe et offrant
un beau damassé.
La
cémentation par le manganèse décarbure en
partie la fonte et lui associe du manganèse et du nickel
réduits (5). L'émeri empêche
l'oxyde de manganèse de corroder et de percer le creuset.
On fait le triage de la fonte après la cémentation,
parce que l'alumine de l'émeri n'empêcherait plus
l'érosion du creuset à la chaleur blanche. Le fer
ajouté convertit la fonte en acier.
Les
inconvénients de ce système sont que, selon la température
de la cémentation, la fonte se trouve trop ou trop peu
décarburé, et surtout, que la fonte étant
souvent sulfurée, cette condition fait manquer l'opération
en donnant un acier rouverin. Cependant, avec un bon choix
de matériaux et une cémentation bien conduite, on
réussit presque constamment.
Les culots obtenus par la fonte décarburée
comme il précède, sont ainsi composés
:
|
Fer
|
0,90142
|
Manganèse
|
0,01400
|
Nickel
|
0,00700
|
Carbone
|
0,07758
|
|
1,00000
|
La
présence du nickel dans cet acier allié de manganèse
pourrait surprendre, si nous n'avions constaté que la pyrolusite
cristallisée d'Allemagne contient presque toujours du nickel.
C'est ce que démontre l'analyse de ce minerai converti
en métal au creuset brasqué.
(2)
Voir, plus bas, analyse du manganèse métallique.
Quelques fers doux de France contiennent du nickel.Retour
(5) Voir, au bas de la page, l'analyse
du manganèse métallique.Retour
Manganèse métallique, extrait de la pyrolusite
:
|
Manganèse
|
0,7469
|
Nickel
|
0,0210
|
Carbone
|
0,2321
|
|
1,0000
|
Il
faut observer avec attention l'énorme proportion de carbone
combiné avec le manganèse métallique : 23
centièmes. Elle explique la forte carburation des aciers
damassés de l'Orient, dans lesquels le manganèse
est toujours présent en quantités variables.
Quant
au nickel, que cette analyse nous révèle dans la
pyrolusite, on le trouve dans beaucoup de minerais de manganèse,
et notamment dans ceux du Brésil, où il est quelquefois
accompagné de cobalt. D'autres minerais de terrains de
différents âges offrent le cobalt ou le cuivre associés
au manganèse en proportions très-inconstantes, selon
les localités et même selon les filons.
De
toutes nos recherches, il résulte :
1°
Que le manganèse allié à la fonte, et refondu
avec du fer, donne constamment de l'acier damassé.
2°
Que deux autres métaux observés dans le damas oriental,
c'est-à-dire, le nickel et le tungstène, n'ont pas
cette propriété.
3°
Que le manganèse, métallique introduit dans l'acier
de très-fortes proportions de carbone sans altérer
sa malléabilité, et lui communique beaucoup de dureté.
4°
Que le manganèse et le nickel se combinent avec le fer
de la fonte par cémentation.
Au
reste, d'autres essais très-multipliés nous ont
prouvé que si l'on fond du fer avec un fer plus ou moins
carburé que lui, on obtient toujours du damassé.
Seulement, il n'est véritablement beau, et le métal
n'est de très-bonne qualité, que sous l'influence
du manganèse. Ainsi, la fonte et le fer doux, l'acier fondu
et le fer doux, l'acier d'Allemagne soit avec la fonte, soit avec
l'acier fondu, forment des aciers damassés ; mais les uns
sont ferreux, les autres aigres, et tous damassent irrégulièrement
et faiblement ; tandis que si l'on fait directement un alliage
d'acier fondu ou de cémentation et de manganèse
métallique, cet alliage refondu avec du fer donne un excellent
acier damassé. Rien ne serait préférable
à ce dernier procédé, si la réduction
du manganèse au creuset brasqué n'offrait pas tant
de chances d'accident et de difficultés. On les évite
en réduisant et fondant en creuset nu l'oxyde de manganèse
avec deux parties de cyanure jaune de fer et de potassium. Le
manganèse est en culot dur, fragile et cristallin à
l'intérieur. La réduction exige la même température
que la fusion de l'acier. Il faut allier 15 % de manganèse
métallique avec l'acier et refondre celui-ci avec une demi-partie
de fer.
Le
cyanure jaune de fer et de potassium réduit et fond en
culot, dans un creuset nu, non seulement le manganèse,
mais encore le chrôme, et le tungstène. Les métaux
réduits sont magnétiques et contiennent du fer.
On les obtient purs, avec un peu plus de perte, si l'on opère
au moyen du cyanure blanc dans un creuset brasqué au noir
de fumée.
(4)
Voir, plus bas, les détails de la préparation de
la fusion.Retour
Préparation
et fusion de deux ou trois kilogrammes de métal,
procédés
1 et 2.
Les
fourneaux à vent ne donnant pas ordinairement assez de
chaleur pour la fonte de notre acier, il a fallu construire la
forge dont le dessin est joint à ce mémoire et accompagné
d'explications. Sa forme est très-analogue à celle
de la forge dite Suédoise. Nos creusets sont cylindriques,
épais d'un doigt, et très-réfractaires. La
meilleure terre pour les fabriquer vient de Brissard, aux environs
d'Abondant et de Dreux. Ils sont composés d'une pâte
de ciment grossier de la même terre cuite et de terre crue.
On ne leur donne pas de cuisson préalable, et, pourvu qu'ils
soient secs, ils ne cassent jamais au feu. Les chapeaux sont faits
et lutés avec la même terre.
Préparation.-
Mélanger intimement les oxydes et la sciure. Stratifier
le mélange avec le fer en chargeant son creuset ; couvrir
avec le chapeau et bien luter.
1e
Fusion dite de préparation.- Placer le creuset dans
la forge, allumer le feu avec des copeaux et du charbon de bois,
et continuer avec du coke. On chauffe une demi-heure, pour porter
le creuset au rouge clair. On laisse cémenter pendant une
demi-heure. Quand ce temps est passé, on recommence à
souffler une heure et demie au plus. On arrête le feu et
on enlève le creuset pour le faire refroidir.
2e
Fusion.- Après avoir cassé le creuset, la
masse fondue en culot est brisée sur une enclume creuse,
en morceaux plutôt au-dessous qu'au-dessus de la grosseur
d'une noisette. Le grain est fortement cristallin. On prend 100
parties de cette matière que l'on mêle avec 100 parties
de pointes de Paris. On refond le mélange pendant une heure
et demie au plus. Les culots sont très-sains et propres
à être forgés. Un culot de 1500 grammes peut
donner une lame de sabre et quelques petites pièces. Un
culot de 2500 grammes fournit deux lames de sabre.
Forge
des culots.
La
forge de ces culots exige quelques précautions qui dépendent
de leur forme, de leur structure cristalline et de leur carburation
; il faut les travailler au rouge écarlate et au-dessous,
jamais au-dessus.
Lorsque
le culot est à cette température, on le place sur
l'enclume et on l'aplatit d'un tiers de son épaisseur,
en faisant frapper devant deux forts marteaux, de bouche, puis
de panne. A ce point, on perce le culot au centre du disque qu'il
présente, avec une chasse conique tronquée.
Ensuite,
avec une tranche, on l'ouvre en fer à cheval, puis on le
redresse graduellement pour en faire une barre.
S'il
se montre quelque crique ou pli, on l'enlève sans retard
pour l'empêcher de s'étendre, et cette précaution
est observée jusqu'à l'achèvement du barreau
et même de la lame.
On
étire en barre, de panne, et en contre-forgeant le moins
possible ; cependant on peut contre-forger sans inconvénient
dès que le barreau est à demi-longueur.
Les
coups de panne, font mieux roncer la veine. Lorsque la pièce
est forgée aux deux tiers, on la lime d'un bout à
l'autre pour s'assurer si elle est saine, et la mettre en couleur
afin de connaître sa veine.
Alors
on lui donne la forme voulue, en la tenant un peu plus épaisse
qu'elle ne doit être.
Dans
cet état, on la porte à l'étau où,
sur les deux faces, on la cisèle avec un burin, ou même
à la lime, pour lui donner la disposition à roncer
suivant les saignées que l'on trace ainsi, soit en vermiculé,
soit en zigzag, soit en bandes transversales, selon le goût
des forgerons.
La
lame est alors réchauffée, rapportée sur
l'enclume, et rebattue pour rentrer les saignées et dresser
le tout.
Immédiatement
après cette opération on lime et polit la lame à
l'émeri.
Pour
la tremper, il faut la chauffer au rouge brun ou cerise, la plonger
dans l'eau selon les procédés ordinaires, et la
recuire en la chauffant légèrement, la frottant
de cire vierge, et laissant cette cire s'évaporer au-dessus
du feu.
On
repolit à l'émeri et au brunissoir.
Tout
étant terminé, on met la lame en couleur comme il
suit
Prenez
une auge de bois, d'une longueur convenable pour vos lames ; versez-y
deux doigts d'eau pure ; ajoutez à cette eau assez d'acide
nitrique pur pour lui donner le goût de vinaigre très-faible.
Dégraissez
la lame en la frottant avec du coton mouillé, sur lequel
vous mettez de la ponce en poudre, puis de la ponce sèche
sur du coton sec, jusqu'à ce que la lame ne soit plus humide.
Pour être sûr qu'elle soit bien dégraissée,
plongez-la dans une cuve d'eau pure ; l'eau doit y adhérer
sur toute la surface.
Plongez
ensuite la lame dans l'eau acidulée, et suivez attentivement
l'effet de l'acide. Quand la veine s'est montrée partout,
attendez encore qu'elle prenne toute sa vigueur. A ce point, plongez
et agitez la lame dans la cuve d'eau pure.
Dès
qu'elle est lavée, portez-la sur un linge fin en plusieurs
doubles ; épongez, par une simple pression simultanée,
en-dessus et en-dessous, l'eau qui baigne la lame et l'oxyderait.
A peine épongée, couvrez la lame d'huile de pied
de bœuf que vous versez dessus ; laissez-la égoutte, et
ne l'essuyez que le lendemain, en la conservant toujours un peu
grasse, et n'employant qu'un linge très-fin.
Un
autre procédé consiste à mettre en couleur
par le zag oriental (sulfate acide de fer et de magnésie).
Cette mise en couleur pratiquée par les Orientaux est propre
à faire ressortir toute la beauté du damassé.
Mais il faut s'abstenir de vases de bois. On prend donc, au lieu
d'auge, un vase cylindrique de verre, appelé éprouvette
à pied, d'une dimension proportionnée à l'objet
qu'on doit mettre en couleur. On y jette quelques grammes de zag
et beaucoup d'eau pure ; on agite le tout pour bien mélanger
le zag avec l'eau, et on y plonge la lame dégraissée
comme nous l'avons dit. Le zag étant faible, l'opération
marche très-lentement, mais avec sûreté.
On
lave, on dessèche et on graisse le tout ainsi que nous
l'avons indiqué.
Des
damas à âme d'acier fondu.
Les
Orientaux, qui sont très-habiles pour forger l'acier damassé,
savent le souder sur lui-même ou sur une âme d'acier
fondu. La plupart de leurs lames à veine grosse et ronceuse
sont de cette dernière espèce. Notre acier damassé
produit le même effet lorsqu'il est employé de la
même manière ; mais les forgerons d'Europe manquent
habituellement de la patience nécessaire ou ignorent les
procédés requis pour réussir dans cette opération
difficile. Les essais que nous avons pu faire en ont cependant
démontré la possibilité. On forge trois lopins,
l'un d'acier fondu qui doit servir d'âme, les deux autres
d'acier damassé pour former la chemise. Le lopin d'acier
fondu doit être d'une épaisseur double de celle que
l'on donne à chacun des autres. On les lime et on les ajuste
ensemble, en ayant soin de faire déborder les deux pièces
de la chemise sur l'âme, du côté
du tranchant qui est préparé en biseau. Des brides
retiennent les trois pièces fortement assujéties
ensemble. En cet état, elles sont mises au feu et soudées
avec toute la précaution possible. Dès que ce travail
est achevé, on burine les saignées et le lopin s'étire
jusqu'à la dimension voulue. En général,
le lopin ne doit avoir que le tiers de la longueur projetée
pour la lame, et sa grosseur doit être calculée en
raison de l'épaisseur définitive. On peut substituer
l'acier de cémentation à l'acier fondu pour l'âme
de ces lames, notre acier damassé se soudant sur tous les
aciers et même sur le fer.
Frais
de fusion de l'acier damassé.
On
peut faire trois fusions par jour, et la journée d'homme
est estimée ici à 3 francs.
1ère dite de préparation.
|
Fr.
|
2 mesures de coke
|
6
|
1 creuset
|
2
|
3 kilos de fer doux
|
3
|
150 grammes de wolfram
|
2,10
|
144 gramm. de carbonate de manganèse
|
2,88
|
2 hommes
|
2
|
|
17,98
|
dont le tiers, 1 kilo
|
6
|
2ème dite d'acier damassé
|
|
2 mesures de coke
|
6
|
1 creuset
|
1
|
1 kilo de fer doux
|
1
|
2 hommes
|
2
|
|
16
|
Prix de revient de l'acier damassé,
le kilo
|
8
|
Des
damas de corroyage.
Les
plus remarquables des aciers damassés de corroyage sont
ceux que fabriquent les Malais. Leurs lames ont toutes une âme
d'acier, mais les deux faces de chaque lame sont recouvertes d'un
large damassé moiré et ondulé qui produit
beaucoup d'effet par le contraste de ses veines blanches et noires,
tantôt en faible relief, tantôt fortement dérochées
par des acides.
L'analyse
de ces lames nous a fait reconnaître dans la veine blanche
un alliage de nickel et de cuivre.
Leur
aspect seul montre qu'elles sont corroyées, et leur âme
d'acier en est une preuve de plus.
On
imite très bien ces lames, et l'on évite de leur
mettre une âme d'acier par le procédé suivant
:
On
taille une vingtaine de tôles de fer de la meilleure qualité
en parallélogrammes d'environ 3o centimètres de
longueur sur 5 centimètres de largeur. Ces tôles
bien appareillées, dressées et nettoyées
à la lime, sont mouillées des deux côtés,
et couvertes de nickel en poudre. Le nickel doit être bien
pur, et exempt d'arsenic. Le cuivre est plus nuisible qu'utile.
On reçoit du nickel d'Allemagne pour les fabriques de maillechort
; il convient parfaitement à cet usage.
Les
tôles saupoudrées de nickel sont assemblées
en trousse que l'on maintient par deux brides carrées.
On les met au feu, et, à la température qui convient
pour souder le fer, on les soude avec toute l'attention possible.
Le lopin étant formé est étiré, et
on lui donne des ronces variées par les saignées
que l'on burine à sa surface. Plus on veut que la veine
soit fine, plus il faut replier sur lui-même et ressouder
le lopin. Mais la grosse veine moirée a plus d'aspect que
la veine fine. La lame étant achevée, on la cémente
dans le charbon en poudre, et en vase clos, pour lui donner l'aciération
convenable. La cémentation doit être plus ou moins
prolongée, selon l'épaisseur de la pièce.
Après
la cémentation, elle est trempée, polie et dégraissée.
On la met en couleur dans une auge de bois, et mieux encore, dans
un vase de verre où l'on a versé de l'eau distillée,
tenant en dissolution de l'acide oxalique (acide de sucre.)
On
fabrique de même des lames corroyées de fer et de
platine. Seulement, le platine doit être en feuilles très-minces,
un peu plus courtes et plus étroites que les tôles
de fer entre lesquelles elles sont disposées alternativement.
Ce dernier corroyage est plus difficile que celui du nickel ;
il est très-dispendieux à cause du haut prix du
platine, et son effet n'est pas en proportion de la cherté
des matériaux employés. Les lames ainsi préparées
sont cémentées et mises en couleur comme celles
de nickel.
Les
corroyages de différents aciers, ou d'acier et de fer,
pareils à ceux de Clouët, se mettent en couleur de
la même manière. L'acide oxalique est le plus convenable
pour faire ressortir le damassé de corroyage ; il n'a presque
pas d'action sur celui de fusion où il produit des veines
grises et blanches, à l'inverse de celles que feraient
ressortir les acides minéraux. Dans les lames de corroyage
faites avec différents fers plus ou moins carburés,
la plus grande difficulté est de conserver l'aciération.
Une cémentation fait disparaître le damassé.
Sur
cette planche :
-
Forge cylindrique en forte tôle de fer,
intérieur de terre à creuset, tôle
percée de trous formant le fond de la forge.
-
Seconde tôle éloignée de la première
et percée de trous contrariés avec ceux de la tôle
supérieure.
-
Coffre à air cylindrique qui reçoit le vent de l'appareil
et le transmet à la forge par les deux tôles percées.
-
Entrée de la tuyère dans le coffre à air.
-
Tuyère conique.
-
Ventilateur Dulché.
-
Bâtisse en brique.
(1)
On peut s'en faire une idée par les variétés
que nous allons désigner : acier damassé du vieux
Caire, grosse veine noire et blanche, à barres transversales
espacées ; de Damas, veine fine et pâle ; de Constantinople,
grande veine grise ; dit de Mille, Constantinople, ronceux et
gris ; de Bagdad, petites piquetures allongées ; de Perse,
Taban-Enti, Taban-Kirmani, Cara-Khorassan, ce dernier à
veine noire, formant des dessins allongés ; d'Assad-Allah,
d'Ispahan, les lames véritables forgées avec de
l'acier vieux Inde, dessin fin et varié, teinte moyenne
; Belarek royal, à marbré rude, formant des treillages
; pâle émaillé, à marbré très-grand,
qui semble avoir été gravé avec les ongles
; moucheté, à marbré très-blanc, mais
très-dur et très-fragile. (Extrait de notes communiquées
par M. Chahim, chef d'escadron des mameluks de la garde impériale,
et par M. Jaubert, membre de l'Institut.);Retour
(3)
La réduction des oxydes s'opère plus facilement
par les substances végétales que par le charbon
ou le noir de fumée ; ainsi l'oxyde de manganèse
se réduit mieux dans la fécule, on même dans
la sciure de bois, que par les procédés ordinaires,
pourvu qu'on se serve d'un creuset brasqué.Retour
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