Le
damas ? / Qu'est ce que le damas ? / Propriétés
mécaniques / Courts extraits
Courts
extraits du texte copié et mis en page par G. E.
Mise
à jour 3 mars 2001
21ème
année
|
REVUE
DE METALLURGIE
|
N°11.
Novembre 1924
|
MEMOIRES
Du damassé et des lames de damas
Par
M. le Professeur B. ZSCHOKKE
Traduction
française de M. Louis DESCROIX
Préface
de C. Buttin
PREFACE
....
Nous
n'arrivions d'ailleurs pas toujours à nous entendre, surtout
lorsque la conversation tombait sur les mérites comparés
des damas de cristallisation et les damas de corroyage pour
lesquels il avait le plus profond mépris ; mépris
naturel chez un voyageur qui, comme lui, avait visité la
Perse, y avait séjourné, et s'était imbu
des idées persanes ; qui, de plus, n'avait jamais mis les
pieds en Malaisie, dont les lames auraient peut-être modifié
quelque peu sa manière de voir. Sur ce point, il était
irréductible.
En
vain j'invoquais l'intérêt que présentent,
pour nous, Européens, les damas corroyés qui sont
décrits dans nos anciens textes depuis le sixième
siècle, qui ont fourni les lames de la plupart des épées
carolingiennes, et qui ont formé plus tard les meilleures
armes blanches de Solingen, puis du Klingenthal ; il ne voulait
rien entendre.
-"
Pourtant, lui disais-je, les Persans ont bien été
forcés d'admettre le damas corroyé pour les canons
de leurs armes à feu, et les damas de cristallisation
se sont montrés là très inférieurs
en ténacité ".
-"
Pour les armes à feu, c'est possible, répondait-il
; mais. pour les lames de sabre, c'est une autre affaire, et
là, le damas des boulates reprend tous ses avantages "
-" Enfin,
il est cassant, reprenais-je, et les traces de rupture de quelques-unes
de vos plus belles lames sont là pour le prouver "
-"
Il n'est cassant qu'entre les mains d'un maladroit qui ne sait
pas donner le coup de sabre, et se sert de son arme comme d'un
bâton, rétorquait Moser, et les ruptures dont vous
parlez ont fourni aux armuriers incomparables de la Perse l'occasion
de montrer les merveilleuses qualités de ce métal.
Voyez cette lame, " signée de Kalb-Ali, fils du célèbre
Assad-Oullah, d'Ispahan. Elle a été rompue par
un coup porté à faux ; la soudure à
été si parfaitement exécutée qu'il
est impossible de la constater au toucher. Seule l'application
du zag l'a révélée par un changement de
teinte qui indique, sur chaque face, l'extrémité
des lèvres de la cassure amincies en biseau. Aussi l'artiste
qui a forgé cette soudure au XVIIIème, siècle,
a-t-il mis, à côté de la signature du fils
de l'armurier de Schah-Abbas sa propre signature et la date
de sa réparation, dont il pouvait être justement
fier. Quelle est la lame de damas corroyé que l'on pourrait
réparer ainsi ? "
Et
il concluait toujours à la supériorité du
damas de cristallisation. En étudiant avec lui sa collection
de lames forgées de cette étoffe, j'étais
forcé d'ailleurs d'admirer leur beauté, leur fini,
et surtout leur aptitude à recevoir ce tranchant merveilleux
qui permet aux sabreurs émérites de couper en deux,
d'un seul coup, un foulard de soie jeté en l'air.
...
Ses
conclusions sont que les lames de damas, tout en étant
très remarquables, sont inférieures aux aciers que
peuvent produire aujourd'hui les grandes aciéries.
Les usines de Solingen ont fourni à M. Zschokke deux lames
de comparaison, l'une en damas corroyé, l'autre en acier
pur, et leur étude comparative avec les lames de Moser
a pu fournir des renseignements précieux.
Il
est regrettable que les expériences de M. Zschokke n'aient
pas porté en même temps sur des lames de criss malais,
presque toujours corroyées avec un mélange d'acier
et de fer météorique ; car c'est à ces lames,
et non aux lames persanes, que s'appliquent les récits
auxquels il fait allusion au sujet de lames forgées avec
du fer météorique. La comparaison eut donné
sans doute des résultats de haut intérêt,
étant donnés les moyens puissants dont disposait
l'auteur pour l'analyse et l'étude comparative des aciers
et sa parfaite connaissance du sujet.
Une
de ses conclusions, indiquant que la composition chimique du damas
ne lui permet pas de recevoir une trempe très brusque qui
le rendrait aigre et cassant rappelle une curieuse tradition orientale,
celle de la trempe à l'air de certaines lames de damas.
Sitôt après leur achèvement et quand elles
étaient rouges encore, elles étaient, dit-on, emportées
dans un galop furieux par un cavalier monté sur un cheval
rapide. Ce mode de trempe très douce par un courant d'air,
convenait probablement mieux pour les lames très riches
en carbone et phosphore, qu'une trempe brusque dans de l'eau froide.
M.
Zschokke conclut trop modestement que l'on ne sait pas tout sur
le damas et qu'il reste encore des questions à élucider.
Du moins sur les. points qu'il a traités, analyse, étude
microscopique, résistance à la rupture et à
la flexion, plus ou moins grande tendance à s'émousser
ou à s'ébrécher, on peut dire quil
a fait la lumière complète et définitive.
Si,
sur d'autres points, le damas présente encore quelques
particularités à signaler, c'est qu'on ne saurait
l'étudier sans envisager le point de vue "arme " un
peu laissé de côté par l'auteur. C'est comme
étoffe à faire des lames de sabre que le damas a
conquis sa réputation. Appliqué à tout autre
chose il peut perdre sa supériorité, mais on ne
peut séparer l'étude du damas de l'étude
des lames et surtout de l'étude de la propriété
qu'il présente de prendre un tranchant extraordinaire,
supérieur à celui que peuvent recevoir d'autres
aciers, fussent-ils meilleurs aux points de vue résistance,
homogénéité, dureté, etc.
Celle
propriété provient sans doute de l'inégalité
de dureté des parcelles de métal qui se succèdent
sur le fil du tranchant, inégalité qui produit un
effet de scie imperceptible à l' oeil et au toucher, mais
qui à mon avis, constitue la principale qualité
des aciers damassés au point de vue tout spécial
de leur utilisation pour les lames de sabre.
Bien
que M. Zschokke n'ai pas envisagé le point de vue particulier
auquel nous nous plaçons, la propriété de
recevoir un tranchant merveilleux, celle particularité
de la structure du damas ne lui a pas échappé et
il dit, en étudiant la plus ou moins grande tendance des
lames de damas à s'ébrécher :
" On
peut donc concevoir que, sur ce dernier point, les lames damassées
grâce à la structure particulière de leur
acier (enrobement de grains durs de métal dans une
masse plus tendre), possèdent moins de tendance à
s'ébrécher et ont l'avantage sur un acier trempé
homogène ".
Mais
la conséquence de cette structure particulière constatée
par M. le Professeur Zschokke n'est pas seulement, comme il le
dit, une moins grande tendance à s'ébrécher
; c'est encore, c'est surtout l'aptitude à recevoir ce
tranchant si remarquable qui n'est comparable à aucun autre.
Le
véritable secret du damas, le voilà, et il est
très remarquable que M. Zschokke l'ait trouvé, pour
ainsi dire, sans le chercher, puisqu'il n'a pas étudié
celle question du tranchant et n'a pas eu, par conséquent,
à déduire les effets les plus importants de celle
structure quil a cependant signalée. Cela prouve
à quel point il a poussé ses recherches consciencieuses,
et s'il avait étudié le damas non seulement dans
sa contexture, mais dans son utilisation, il naurait rien
laissé à dire à ceux qui voudront encore
s'occuper de celle question.
Il
a d'ailleurs fait observer l'habileté des Orientaux dans
la façon de scier en portant un coup de taille, habileté
qui permet d'expliquer certains exploits qui paraissent fabuleux
et sont cependant attestés de la façon la plus sérieuse.
Il n'y a qu'un. mot à ajouter à celle judicieuse
observation, c'est que précisément, les Orientaux,
en sciant dans le coup de taille, utilisent au maximum le tranchant
tout spécial que le damas donne à leurs armes, tranchant
dont, au reste, ils ne connaissent les propriétés
que par empirisme, et sans s'être rendu compte de leur cause.
...
Du damassé et des lames de Damas
PAR
M. LE PROFESSEUR B. ZSCHOKKE
Dans
l'histoire du fer forgé, spécialement des qualités
d'acier employées à la fabrication des armes blanches,
il est un produit qui a joui d'une faveur particulièrement
grande dès l'antiquité, puis pendant tout le moyen
âge et jusqu'à ces derniers siècles, qui jouit
même encore de cette faveur, c'est l'acier dit damassé.
Chaque
fois qu'on rencontre une collection réputée armes
historiques, l'attention est toujours spécialement attirée
sur les armes dites damassées, production de plus en plus
rare de lart ancien de l'armurerie orientale. Celles-ci
en effet, représentent un produit particulier de l'industrie
de l'acier, non seulement par leur aspect extérieur, notamment
un dessin reconnaissable à l'oeil nu à la
surface de lacier et la coloration bronzée
du métal, mais aussi, de lavis presque unanime des
amateurs et connaisseurs anciens et modernes d'armes, par l'extrême
flexibilité et la grande résistance de ce métal
à l'usure. Caractéristique qui lui confèrent
des propriétés élastiques incomparables
et impossibles à atteindre actuellement, de lavis
des spécialistes, dans l'armurerie moderne. Il ne faut
donc pas s'étonner que le secret de fabrication
de ces armes au sujet des propriétés desquelles
une légende s'est formée au cours des siècles,
a occupé à un haut degré, et depuis longtemps,
les amateurs d'Orient comme les amateurs d'armes. De nombreuses
recettes orientales, de même que les recettes des explorateurs
européens, des Anglais notamment sur la fabrication de
l'acier de Damas et des épées damassées ont
été maintes fois relatées (Histoire du
fer au point de vue de la technique par le docteur Ludwig Beck,
2ème édition, pages 203 à 269).
Cependant, la plupart du temps, comme cela est souvent le cas,
la question a été traitée de façon
si inexacte et erronée du point de vue de nos connaissances
techniques et scientifiques modernes, qu'il est souvent impossible
d'en acquérir une idée absolument claire tant sur
la nature des méthodes métallurgiques employées
à la fabrication de l'acier damassé que sur les
manipulations en usage pour transformer ce métal en lames
fines par travail mécanique ultérieur. La plupart
du temps les explorateurs qui ont rencontré l'occasion
rare d'assister sur place à la fabrication des lames de
Damas, ont manqué des connaissances chimiques et métallurgiques
nécessaires pour suivre avec compétence les différentes
phases de la préparation de l'acier de Damas et pour pouvoir
tirer des conclusions fondées de leurs constatations et
observations.
Ce
n'est qu'au commencement et dans le cours du siècle dernier
que nous rencontrons des hommes qualifiés par leur formation
technique, leurs connaissances de spécialistes et leur
renommée, pour élucider, du moins jusqu'à
un certain point, le secret de fabrication du vieil acier damassé
oriental. Ces hommes étaient également en situation
de faire connaître les résultats de leurs recherches
souvent pénibles et de très longue haleine, sous
forme de rapports scientifiques à un large cercle d'intéressés.
Le mérite principal des recherches de ce genre appartient
sans conteste aux savants russes ; ceux-ci ont pu ouvrir
la voie grâce à leur voisinage immédiat de
l'Orient et à leur contact plus intime que celui des savants
de l'Europe occidentale avec ce pays et ses populations (Description
of Indian and Oriental Armour par le Right Hon. Lord Egerton de
Tatton M. A., Londres 1896.). Avant tout autre, nous devons
citer l'ingénieur des Mines Major Général
P. P. Anossow (1797-1851), qui dirigea longtemps les Forges
et Manufactures d'Armes de Slatoust dans le Cau case ; il fit
de l'étude de l'acier damassé le but de sa vie entière,
principalement en vue d'obtenir un produit équivalent aux
marques commerciales des Indes et de la Perse en utilisant les
minerais sibériens et d'introduire en Europe l'acier damassé.
Ses travaux dans ce domaine, poursuivis de 1828 à 1837,
parurent traduits en allemand en l'année 1843, dans les
"archives d'Erdmann pour les Sciences en Russie ".
Quelques
dizaines d'années plus tard, l'étude de lacier
damassé a été reprise, mais davantage du
point de vue théorique et scientifique, par d'autres chercheurs
russes, avant tout par le conseiller impérial professeur
Dr Tschernoff (Tschernoff. Du damassé, The Metallographist,
1899, n° 3.), qui a rendu de si précieux services à
la science métallurgique et plus tard par son élève
le capitaine d'artillerie de la Garde Russe N. T. Belaïew
(N. T. Belaïew Du damassé, Saint-Pétersbourg,
1906).
Les
résultats de ces recherches sont consignés dans
une série de publications remarquables parmi lesquelles
il faut mentionner comme la plus importante et la plus complète
le travail publié en 1909 par Belaïew (N. T, Belaïew,
répétiteur à l'Académie Michel d'Artillerie
: " Cristallisation, structure et propriétés
de l'acier refroidi lentement " Saint-Pétersbourg
1909 ; en outre "cristallisation des métaux " Londres
1923.). Cette étude met à profit toutes les
théories et recherches nouvelles du domaine de la métallographie
microscopique, utilisables dans l'examen de la question de l'acier
damassé.
En
dehors des savants déjà nommés, nous devons
rappeler également le sidérurgiste autrichien bien
connu Cécil Chevalier von Schwarz ; celui-ci, dans le poste
de directeur des Forges du Gouvernement britannique dans les Indes
orientales, charge qu'il occupa plusieurs années, eut l'occasion
détudier sur place l'industrie du fer encore pratiquée
dans quelques localités des Indes à cette époque
par les indigènes. Sur cette question ainsi que sur les
gisements de minerais et l'industrie moderne du fer dans les Indes
orientales, il a publié des communications de caractère
technique et de lecture attrayante (Sur l'industrie du fer
et de l'acier dans les Indes Orientales par C. Chevalier de Schwarz,
directeur des Forges du Gouvernement des Indes Britanniques. " Stahl
and Eisen ", année 1921, pages 209, 277, 337 et 391.).
Si
nous résumons les observations et les résultats
expérimentaux des chercheurs ci-dessus mentionnés
et d'une série d'autres, en tant qu'ils touchent au mode
de fabrication et aux propriétés extérieures
de l'acier damassé ; nous pouvons dire ce qui suit :
Avant
tout, il faut bien préciser que le vieil acier damassé
véritable des Indes nommé "pulat " (en russe
"bulat ") n'est aucunement de l'acier soudé,
comme le fait supposé sa dénomination primitive
et comme on l'admet encore fréquemment en Europe ; ce n'est
donc pas un produit obtenu par mise en paquets ou enchevêtrement
et soudage ultérieur de barres ou de fils d'acier doux
et dur et dont les dessins sont produits par la coloration provenant
de l'attaque des différents constituants du fer. Nous avons
plutôt affaire, au contraire, à un acier fondu au
creuset, régulier et dont la structure particulière
résulte de phénomènes de cristallisation
et de ségrégation.
Anossow
et Belaïew distinguent trois méthodes de préparation
de l'acier damassé :
1°
La méthode indienne ou directe par laquelle
l'acier est obtenu directement dans les creusets à
partir des minerais réduits par addition de substances
organiques (plantes) ;
2°
La méthode persane, sorte de cémentation
et de fusion simultanées ; du fer doux indien
appelé "métal wootz " est forgé
en barreaux quon coupe en morceaux, fondu ensuite et
carburé dans des creusets par addition de graphite
ou de composés végétaux ;
3°
La méthode par recuit, dans laquelle un recuit
prolongé au-dessous du rouge et à l'abri de
l'air détermine toujours des modifications de structure
qui donnent à l'acier l'aspect analogue au damassé.
Dans
leurs expériences, Anossow et Belaïew ont opéré
la plupart du temps d'après la seconde méthode ;
pour l'obtention d'un produit irréprochable, ils ont posé
les conditions suivantes d'expérience :
a)
Maximum de pureté du fer, du graphite et du fondant ;
b)
Emploi de types de fours permettant de maintenir constamment
des températures élevées.
c)
Emploi de très hautes températures pour lesquelles
la charge des creusets est complètement liquide.
d)
Longue durée de fusion et par-dessus tout très
lent refroidissement du produit fondu dans le creuset même.
Comme
on la déjà dit, on possède de très
nombreuses données sur les moyens techniques extrêmement
primitifs employés par les anciens Indiens dans la fabrication
de l'acier fondu, ainsi que sur les méthodes de travail
mêmes. C'est ainsi que Willinson écrit (D'après
Egerton page 57 ) :
" Le
minerai de fer, grossièrement pulvérisé,
est chargé en couches alternant avec du charbon de
bois dans des fours ou des creusets d'argile. Le charbon de
bambou est préféré en raison de sa teneur
en silice qui agit comme fondant. Le vent nécessaire
est fourni par des soufflets en peau de chevreau ; la scorie
commence à couler au bout d'une heure environ ; il
n'est pas fait daddition de fondants. L'opération
est terminée en six heures environ. Le fer brut ainsi
obtenu n'est jamais complètement fondu, il tombe cependant
par son propre poids au fond du four ou les grains isolés
s'agglomèrent. Dans cet état il est souvent
forgeable ; on brise le four, on en retire la masse incandescente
qu'on broie en petits morceaux pour la vendre sous cette forme
au forgeron "
Le
Dr Malcolmson (D'après Egerton page 58.) attribue
l'excellente qualité du fer de Nirmal à un minerai
qui est presque de l'oxyde noir (peroxyde) pur ; et il décrit
dans les termes suivants la fabrication de l'acier damassé :
" Le
minerai de fer est broyé, lavé et les plus gros
morceaux sont fondus avec du charbon de bois dans de petits
fours de 4 à 5 pieds de haut (1 m. 20 à 1 m.
50), 5 pieds de diamètre (l m. 50), se réduisant
à deux pieds (60 centimètres) au fond. Pour
produire la température de fusion nécessaire,
il existe aux quatre angles du four des soufflets en peau
de boeuf, actionnés à la main. Par cette méthode,
le fer est obtenu à l'état forgeable puis cassé
en morceaux pesant environ une livre. Suivant sa destination,
le fer pour être transformé en acier est placé
dans des creusets de dimensions diverses, en y ajoutant des
branches sèches de teck ou du charbon de bambou, ainsi
que quelques feuilles vertes de diverses plantes (par exemple,
cassia auriculata) ; dans la pensée des indigènes,
cette dernière addition aurait une influence favorable
sur la qualité de l'acier. Dans les fours à
creusets chauffés au charbon de bois, le feu est entretenu
pendant 25 heures ; les creusets sont ensuite refroidis
très lentement dans le four afin que puissent se développer
les phénomènes de cristallisation nécessaires
à l'apparition du damassé ("jauhar ").
Après refroidissement, on trouve dans le creuset un
culot dur d'environ 1 livre et demie (680 grammes). Ce culot
est recouvert d'argile et recuit au four durant 12 à
16 heures, puis retiré, refroidi, et la même
série d'opérations est répétée
trois à quatre fois jusqu'à ce que le métal
soit suffisamment doux pour pouvoir se travailler. Une épée
est ordinairement faite de deux lames forgées en barres
puis soudées ensemble. Les dessins du damassé
("jauhar ") sont généralement régulièrement
distribués sur toute la lame ; cependant, sur
les lames de grand prix, on trouve une bande horizontale ou
oblique sétendant transversalement à intervalles
de 1 à 2 pouces (25 à 50 mm.) et désignée
sous le nom "déchelle de Mahomet ".
Il
semble donc, d'après la dernière description, que
la fabrication de l'acier damassé comporte un procédé
de soudage ; remarquons accessoirement que, d'après
diverses sources, de l'acier damassé réellement
soudé a été également fabriqué
aux Indes pour la manufacture de canons de fusils notamment ;
cependant il semble également résulter des expériences
déjà citées d'Anossow et de Belaïew,
et cela avec une sûreté indubitable, que le véritable
damassé oriental soit obtenu simplement par fusion.
Le métal obtenu, par ce procédé lentement
solidifié et refroidi sous une couche de scorie, présente,
suivant les conditions, de fabrication, un dessin superficiel
radial, plus ou moins fortement marqué et provenant de
la cristallisation primaire (octaédrique) du métal
(Belaïew, qui a fait 10 coulées d'essai de ce genre
pour ses études a toujours obtenu ces dessins - voir son
second ouvrage). Suivant les localités, cest-à-dire
suivant les minerais et les méthodes particulières
de travail, les régules ainsi obtenus (métal Wootz)
jouissent d'une renommée très différente.
Les principaux districts dans lesquels on produit encore partiellement
aujourd'hui de l'acier wootz sont, suivant les indications de
Beck, Salem, sur la côte de Coromandel, et la région
montagneuse de ??outsch sur la côte ouest. Schwartz cite
comme localité particulièrement réputée,
Kona Samunnum près de Nirmal province de Heyderabad et
en second lieu, Mysore. Chose particulièrement remarquable,
les lingots d'acier wootz fabriqués dans les localités
les plus diverses des Indes, n'étaient pas transformés
dans le pays même ; les objets finis, principalement les
poignards, couteaux et lames de sabres, étaient travaillés
à l'étranger, pour la plupart en Perse, pays qui
tenait le premier rang parmi les peuples orientaux pour son industrie
des armes forgées. D'après Schwarz, le métal
brut de grand prix était transporté sur des chemins
longs et difficiles, par des marchands persans d'Ispahan ; ce
transport se faisait à dos de mulets, à travers
les Indes centrales, le Punjab, l'Afghanistan, vers les pays de
l'Asie Occidentale pour que le métal y soit forgé
en armes. Ce métal s'en allait vraisemblablement aussi
vers Damas ; d'où la désignation d'acier damassé,
apportée soit par les Croisés, soit par les relations
commerciales de négociants Européens avec le Levant
...
De
tous les rapports relatifs au forgeage des lames damassées,
notamment des rapports d'Anossow qui, sur cette question, doit
être considéré comme l'auteur 1e plus sûr
et le plus précis, il ressort unanimement que l'opération
du forgeage présente un facteur important pour la production
de lames de valeur ; ce forgeage doit, avant tout, se
faire à une température relativement basse,
c'est-à-dire à une température approchant
et en tout cas ne dépassant pas le rouge "parce qu'à
température plus élevée le métal se
brise sous le marteau et surtout le damasquinage disparaît ".
Remarquons
en passant que la première partie de cette assertion s'applique
également aujourd'hui sans conteste, à tout acier
fondu homogène à haute teneur en carbone ; quant
à la seconde partie, elle s'explique d'elle-même,
comme nous le verrons plus loin, par le diagramme d'équilibre
des alliages fer-carbone.
Les
lames damassées doivent, au dire de tous les rapports,
être également trempées et revenues ; nous
reviendrons plus loin sur ce point également. A la forme,
aux dimensions et à la disposition du damasquinage à
la surface des lames est attachée la plus grande importance
et la qualité de la lame en découle ; le damasquinage
est provoqué par attaque de la lame polie au moyen d'acides
dilués ou de solutions salines. On emploie fréquemment
pour cela une solution d'un minéral qu'on rencontre aux
Indes et dénommé "zag " ; sur la composition
et les propriétés de ce minéral, nous nous
étendrons davantage plus loin.
En
général, un damasquinage est d'autant meilleur et
de plus de valeur que le dessin des diverses bandes est plus gros
en même temps que plus contourné et entrelacé.
Se
basant sur ces signes extérieurs, Anossow a essayé
d'établir une classification des aciers damassés
et les a répartis suivant les groupes ci-après (De
l'acier damassé, rapport sur l'état de la question,
par E. von Lenz, conseiller d'état Impérial de Russie
à Saint-Pétersbourg. Zeitschr. f. histor. Waffenkunde,
t. IV, n° 5, pages 132-142.) ;
1°
Damasquinage en bandes dans lequel le dessin se compose principalement
de bandes rectilignes ;
2°
Damasquinage ondé dans lequel les lignes droites
sont plus courtes et mélangées de courbures ;
3°
Damasquinage ondulé à lignes courbes prépondérantes
avec apparition de lignes brisées et de points ;
4°
Damasquinage en réseaux, présentant un dessin
ressemblant à un filet divisé par des bandes
imitant le tissu qui court dans toutes les directions et en
se reliant aux autres, forment en quelque sorte un autre réseau ;
5
° Damasquinage en échelons : la structure en réseau
s'étend presque à toute la surface de la lame
et la divise en zones à peu près égales
assez nettement distinctes.
Il
est superflu de dire que toutes ces désignations n'ont
qu'une valeur relative, qu'il existe des types de transition entre
un groupe et un autre et qu'il est absolument impossible d'établir
d'après cette subdivision, une classification rigoureuse
et typique de diverses lames.
D'autres
chercheurs se sont laissé guider, dans l'appréciation
des lames damasquinées, plus par la couleur ou par les
désignations géographiques. On trouve ainsi des
désignations de localités qui souvent caractérisent
les lames ; ces localités se sont conquis un nom grâce
à des marques de fabrique particulièrement réputées.
Je m'abstiendrai ici de reproduire toutes ces nombreuses expressions
persanes, d'autant plus que leur importance est encore assez obscure,
pour partie, et qu'elles sont d'intérêt secondaire
pour les considérations qui vont suivre.
Lorsqu'on
parcourt la littérature aussi bien ancienne que moderne
sur l'acier damassé, on constate avec étonnement
l'oubli d'un point qui me paraît être le noeud de
la question. Les propriétés techniques du véritable
acier de Damas ancien sont-elles réellement si remarquables
et surpassent-elles tout ce qu'est en état de produire
aujourd'hui dans ce domaine la technique de la métallurgie
de l'acier et de l'armurerie ?
Je
n'ai trouvé nulle part une réponse à cette
question qui fût basée sur des expériences
scientifiques.
Quand
Anossow écrit quune lame en bon acier damassé,
correctement affilée et trempée de façon
experte, ne peut être ni brisée, ni pliée
au point de perdre son élasticité, qu'elle ne casse
pas quand on la plie à 90° et même quelle conserve
son élasticité lorsqu'on la redresse ensuite, ce
sont là des données très incomplètes
et générales qui pouvaient peut-être suffire
il y a 70 ans à l'appréciation d'une arme ; mais,
à une époque où les essais de matériaux
et spécialement la connaissance de la constitution chimique,
de la microstructure et des propriétés physiques
et mécaniques des métaux ont atteint un si haut
degré de perfection, ces données primitives ne sauraient
plus être considérées comme suffisantes, et
de beaucoup, pour caractériser les propriétés
techniques d'un métal.
Il
faut donc s'étonner du manque total de données sur
des essais modernes de véritables lames de Damas. Vraisemblablement,
ce phénomène s'explique si l'on considère
que les lames damassées sont précisément
des articles relativement rares et coûteux et que les heureux
possesseurs de ces objets ou même de collections entières,
ne témoignent d'aucune joie à la pensée de
sacrifier à des expériences techniques, leurs pièces
de musée acquises souvent à prix d'or.
C'est
donc un grand bonheur que M. Henri Moser, châtelain de Charlottenfels,
près Schaffouse (Suisse), à qui son long séjour
en Asie Centrale et en Perse a permis de rassembler une collection
d'armes orientales comptant plus de 2000 lames damassées
et pouvant rivaliser par la richesse et la rareté des pièces
avec la collection du British Museum de Londres, que M. Moser,
disons-nous, se soit décidé dans l'intérêt
de la science, à sacrifier un certain nombre de ces lames
pour qu'elles fussent étudiées des points de vue
les plus variés, quant à leurs propriétés.
Les résultats de ces recherches, exposés en détail
ci-après sont si originaux et intéressants que les
spécialistes les accueilleront certainement comme une contribution
heureuse à la connaissance de 1'acier damassé quoiqu'ils
leur offriront bien des surprises sous beaucoup d'égards.
Pour
mes expériences, six pièces au total, m'ont été
confiées ; notamment deux poignards et quatre lames de
sabres, sur le mode de fabrication et l'origine desquels il n'existe
aucune donnée certaine. Il est clair que les résultats
des essais de résistance et des analyses chimiques effectués
sur ces lames ne peuvent être judicieusement appréciés
que si on les rapproche des résultats analogues obtenus
sur des sabres de fabrication moderne. Pour cette raison, on a
adjoint à la présente étude, un acier fondu
pour épée de fabrication moderne, homogène
et de première qualité, ainsi qu'un acier damassé
moderne (acier soudé doublé). Ces deux derniers
spécimens ont été spécialement fabriqués
dans ce but, sous forme de deux barres plates de 60 x20 x5 mm.
par une manufacture d'armes bien connue de Solingen ; elles ont
été mises très aimablement à la disposition
de l'auteur pour ses expériences.
Avant
d'aborder la discussion des résultats d'analyses chimiques
et d'essais technologiques, nous devons brièvement exposer
les caractéristiques extérieures des lames essayées.
Les deux poignards (n° de référence3 et 5), dont
l'un était pourvu d'une poignée blanche en ivoire
de morse, ne présentait rien de particulièrement
caractéristique dans leur forme extérieure ; les
lames sont larges, droites, les côtés complètement
plats, sans gouttière, le dos bombé, les deux lames
présentaient un damasquinage fort joli ; la lame n° 3,
un damassé ondulé, très marqué, le
numéro 5, un damasquinage en réseau ou en échelons.
Les deux lames présentaient en outre la coloration brune,
bronzée, commune à de nombreuses lames damassées.
Les
quatre lames de sabres (n° de référence 7, 8, 9
et 10) présentaient toutes la forme typique du sabre oriental
très courbe (planche I). Elles ne variaient pas dans de
bien grandes limites comme longueur ni comme largeur ; la longueur
en était comprise entre 747 et 837 mm., la largeur entre
28 et 34 mm. La forme de la courbure est caractéristique
; dans les numéros 7, 8 et 9, elle a une allure remarquablement
régulière, son maximum étant, non pas au
milieu, mais vers la pointe. Le rapport L/L1 de la longueur totale
à la distance de la pointe à la base de la flèche
maximum f est presque constant (2,22 à 2,31). Il ressort,
de ce fait, que cette forme de courbure n'est nullement accidentelle,
mais qu'au cours du temps et par la pratique on a élaboré
une courbe d'allure parfaitement définie comme étant
la plus judicieuse pour obtenir le maximum d'effet utile.
Dans
leurs détails les quatre lames présentent encore
les particularités suivantes :
Le
n° 7 offre un damasquinage relativement moins beau, qu'on peut
classer d'après Anossow, dans la catégorie des damasquinages
ondés. Au choc du marteau d'acier, la lame rend un son
très sourd.
La
lame n° 8 appartient au groupe du damasquinage ondé ou
faiblement ondulé ; elle présente cependant, même
à l'oeil nu, sur le dos et le tranchant, une différence
de coloration surprenante du dessin ; vers le dos, celui-ci est
fondu et blanchâtre ; près du tranchant, il est noir.
Sous le choc du marteau d'acier, la lame rend un son très
beau et clair. Le côté large montre en gravure assez
creuse, la signature d' " Assad Ullah ", l'un des
armuriers les plus réputés de son époque.
La
lame n° 9, au contraire des deux précédentes, présente
un damasquinage très vif avec de nombreux contours et volutes
; elle appartient toutefois au groupe du damasquinage en réseau
ou en échelons. Au dos de la lame, on peut voir plusieurs
cavités d'environ quelques centimètres de longueur.
Cette lame montre également d'une façon encore plus
belle et plus nette, la signature d'Assad Ullah en lettres d'or
; le son est clair.
La
lame n° 10 montre un magnifique damasquinage, le plus beau et
le plus précieux des quatre. Au dos de la lame, sont visibles
quelques coutures (cavités). Le son de la lame est étonnamment
mat.
L'éprouvette
n° 11, en damassé de Solingen, montre les dessins caractéristiques
du damassé soudé. Les damassés ainsi produits
par soudure de diverses sortes de fer, doublage et attaque se
différencient cependant des damassés fondus indiens
au premier coup d'oeil . Les premiers possèdent un damasquinage
qui, sil varie d'une lame à l'autre, offre pour une
même lame le même dessin se répétant
à de courts intervalles avec une régularité
géométrique ; au contraire, dans les damassés
fondus, l'oeil d'un connaisseur un tant soit peu exercé
distingue immédiatement que le dessin a été
produit naturellement par des phénomènes de cristallisation
et de ségrégation et que l'originalité naturelle
de ce dessin na subi aucune altération notable par
le forgeage ultérieur du lingot brut d'acier "wootz ".
Les
lames de sabre en damassé soudé ne sont d'ailleurs
demandées aujourd'hui encore que très rarement par
des amateurs, pour des sabres de luxe, des épées
d'honneur, etc. ; elles sont fabriquées de façon
très soignée dans quelques centres d'armurerie par
des spécialistes particulièrement artistes. C'est
ainsi qu'à Solingen et dans les environs, par exemple ;
siège le plus réputé de toute ancienneté
de l'industrie allemande pour la coutellerie et les armes blanches,
il existe encore quelques fabriques d'armes qui, à titre
privé et sur commande confectionnent de telles lames dans
les dessins les plus variés sur catalogues spéciaux.
L'art de la fabrication du damassé soudé se transmet
dans ces familles de génération en génération
; le travail s'effectue à la maison en gardant jalousement
les secrets de fabrication et en s'abstenant complètement
de publicité ; ainsi, rien de certain ne parvient au public
sur les particularités de cette fabrication.
...
...
Les
recherches précédentes qui n'ont eu pour but que
d'obtenir des indications plus précises sur les propriétés
techniques des lames de vieil acier damassé, comparées
aux produits analogues de l'industrie moderne de l'armurerie,
aboutissent à ce résultat, peut être un peu
surprenant au premier abord, que les lames en aciers modernes,
non seulement ne le cèdent en rien aux vieilles lames orientales
du point de vue de la qualité du métal, mais leur
sont notablement supérieures. Néanmoins, il serait
prématuré en se basant sur les résultats
des présentes expériences de juger en expert l'acier
de Damas et les vieilles lames damassées en général ;
il ne faut pas, en effet, perdre de vue que les propriétés
médiocres des métaux essayés sont en première
ligne la conséquence de leur composition chimique défectueuse,
spécialement de leur teneur très élevée
en phosphore. Un métal de composition chimique irréprochable
montrerait probablement des propriétés mécaniques
sensiblement meilleures.
Il
n'existe cependant pas, à la connaissance de lauteur,
dans la littérature technique, d'analyses chimiques et
de chiffres de résistance d'autres vieilles lames orientales
authentiques, qui permettraient une comparaison. Il est très
vraisemblable d'ailleurs qu'il existe des lames de meilleure composition
chimique que celles étudiées ; Schwartz, en effet,
signale dans l'étude déjà citée, une
série d'analyses de minerais indiens caractérisés
par une pureté vraiment rare et qui, par conséquent,
devaient fournir également un acier idéal, il s'agit
du minerai magnétique de Pipugaon, district de Chanda,
dont la composition est la suivante :
|
%
|
Peroxyde
(Fe3 04)
|
94,50
|
Silice
(Si 02)
|
4,50
|
Carbonate
de calcium (Ca CO3)
|
0,60
|
Oxyde
de manganèse (Mn2 03)
|
-
|
Alumine
(Al2 03)
|
traces
|
Carbonate
de magnésium (Mg CO3)
|
-
|
Soufre
|
-
|
Acide
phosphorique
|
-
|
ou
de la magnétite de Singareni, district de Heyderabad, où
se trouvait dans lantiquité et où se trouve
encore aujourd'hui ; un centre réputé de fabrication
de l'acier.
Ce
minerai avait pour composition :
|
%
|
Peroxyde
de fer
|
92,92
|
Silice
|
4,19
|
Soufre
|
0,05
|
Phosphore
|
traces
|
Humidité
|
2,47
|
Admettons
que contrairement aux expériences d'Oberhoffer sur la structure
linéaire, une proportion relativement élevée
de phosphore (ou de scorie) dans l'acier ne soit pas la condition
essentielle pour obtenir le damasquinage ; il reste cependant
encore une question : Pour la fabrication d'une bonne lame de
sabre, est-il plus avantageux de donner la préférence
à un métal irréprochable par sa composition
chimique, se présentant sous forme d'acier homogène
trempé et revenu, à teneur moyenne en carbone, ou
bien à un acier fortement hypereutectique, constitué
de perlite et de cémentite libre et dont la texture peut
être améliorée sans trempe par un traitement
thermique et mécanique approprié et tel qu'il prenne
le caractère typique de l'acier damassé ? Une autre
question n'est pas encore pleinement élucidée. Le
damasquinage proprement dit dépend-il, suivant les conceptions
des anciens chercheurs, de phénomènes de cristallisation
primaire de l'acier et spécialement de la formation de
dendrites apparaissant à la surface par refroidissement
très lent de l'acier liquide, ou bien, est-il déterminé
effectivement par la structure linéaire, suivant les expériences
d'Oberhoffer ?
Au
moins du point de vue purement scientifique et technique de l'armurerie,
il serait vivement à souhaiter que ces questions pussent
être résolues de façon définitive,
de préférence par voie expérimentale, avec
la collaboration d'une aciérie au creuset. Cependant, le
problème de l'acier damassé n'a plus guère
d'importance pratique car, dans tous les cas, la production de
ce métal demande beaucoup de temps et serait plus coûteuse
que celle d'un acier ordinaire au creuset ou électriques.
La parole du métallurgiste russe Anossow, en l'année
1841 : " Après quoi, les guerriers se battront de
nouveau avec des épées de Damas, les paysans laboureront
la terre et les ouvriers travailleront leurs pièces avec
des outils de Damas " ; cette parole restera un simple voeu.
Il ne faut d'ailleurs pas oublier que l'importance des armes blanches,
qui jouaient le principal rôle dans les anciennes guerres,
est aujourd'hui réduite à un minimum ; en conséquence,
les fabricants d'armes n'ont plus aujourd'hui un besoin pressant
de perfectionner encore les aciers employés à la
manufacture des armes blanches.
Sur
les exploits et les actes de bravoure accomplis dans les assauts
d'armes et les combats par les guerriers indiens armés
de lames damassées, les voyageurs d'Orient, particulièrement
les officiers anglais ayant pris part aux campagnes des Indes,
relatent de véritables merveilles. Ces exploits, à
notre avis, dépendent cependant beaucoup moins de la qualité
de l'acier que d'une série d'autres facteurs, notamment
de la forme courbe particulière aux lames, très
différente de la forme presque droite propre au sabre de
cavalerie européen. Tandis qu'avec ce dernier, on frappe
plus ou moins, les orientaux emploient leurs sabres à couper.
En second lieu, les exploits en question dépendent de la
forme de la section, de l'aiguisage et des soins minutieux donnés
au tranchant, enfin, de la force extraordinaire et de l'habileté
avec laquelle les orientaux savent se servir de leur arme.
En
ce qui concerne le soin donné au tranchant, il a encore
un point à signaler ici. Un tranchant suse, soit
en sémoussant, c'est-à-dire s'aplatissant,
quand l'acier est de qualité trop douce, soit en s'ébréchant,
c'est-à-dire en perdant progressivement des particules
plus ou moins grosses lorsque le métal est très
dur et cassant.
On
peut donc concevoir que, sur ce dernier point, les lames damassées,
grâce à la structure particulière de l'acier
(enrobement de grains durs de métal dans une masse plus
douce), possèdent moins de tendance à s'ébrécher
et ont l'avantage sur un acier trempé homogène.
Il n'est pas facile de déterminer expérimentalement
la tendance plus ou moins grande des tranchants de lames à
s'ébrécher ; la pratique seule peut, ici, conduire
à un jugement sûr. Si, dans les expériences
rapportées ici, nous avons peut être déchiré
le nimbe qui enveloppait les vieilles lames damassées,
nous ne pouvons malgré tout refuser notre admiration à
ces produits de l'art de l'armurerie orientale ancienne, surtout
en considérant les moyens techniques primitifs dont elle
disposait. Il est d'ailleurs possible, et même vraisemblable,
que les lames damassées d'Orient aient pleinement mérité
leur renommée jusqu'il y a cent ans et aient été
supérieures aux produits de l'armurerie de l'Europe Occidentale,
en partie du fait de la bonne qualité du métal.
Grâce
à l'énorme développement pris par la métallurgie
du fer en raison des progrès de la chimie, de la physique
et de la mécanique dans les dernières dizaines années,
l'Occident a distancé l'Orient qui en était resté
à plusieurs siècles en arrière pour ces progrès ;
il en est de ce domaine comme de beaucoup d'autres.
(Zurich,
mai 1924.)
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