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Le
damas ? / Histoire / JJ Perret
Jean
Jacques Perret, en 1771, écrivit et illustra le livre sans
doute à ce jour encore le plus complet sur les techniques
coutellières :
L'ART
DU COUTELIER
Tous
les aspects de la coutellerie sont couverts, le design, la préparation
des matériaux, la fabrication, jusqu'à l'art de
vendre des couteaux et de gérer un magasin...
Le
vingt neuvième chapitre est consacré au damas
Mis
à jour le 31 décembre 2000
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CHAPITRE
VINGT - NEUVIEME.
Manière de faire l'Acier façon de Damas.
Nous aurions pu parler de cet Acier au Chapitre où il a été question
des étoffes, parce que c'en est une ; mais comme elle n'est pas
propre à faire des tranchants fixes, nous avons cru en devoir
traiter à part, quoique cet acier soit très bon pour faire des
couteaux de table.
Cette étoffe qui imite le Damas naturel, à s'y tromper, devient
coûteuse, tant par le temps que par le charbon qu'il faut employer,
et par la diminution de la matière ; car si l'on veut en faire
3 livres pesant, il faut prendre 6 livres de matière.
Commencez
par forger six lames de fer, exactement égales sur tous les sens
; supposons-les d'un pouce de largeur, d'une ligne d'épaisseur
et de 12 pouces de longueur ; forger ensuite cinq lames d'acier,
égales en tout à celles de fer, ce qui fait en tout onze lames
; plus on les multiplie, meilleure est l'étoffe : appliquez ces
lames l'une sur l'autre ; mais observez de mettre une lame d'acier
entre deux lames de fer, ce qui se fait en commençant et en finissant
par une de fer ; ce qui doit s'exécuter quelque nombre qu'on emploie
de lames ; cela devient sensible par la figure 1.
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Chaque
lame est numérotée depuis I jusqu'à II, et sous chaque numéro,
l'on voit la lettre qui désigne la matière ; A marque l'acier,
et f marque le fer.
Cela étant ainsi disposé, prenez toutes ces lames avec des tenailles
croches ; ferrez les branches des tenailles avec un S, comme il
est indiqué Chapitre XII. Paragraphe II, pour les étoffes ; placez
celles-ci dans un feu modéré ; faites en sorte que toutes les
lames s'échauffent ensemble ; ne souffrez pas qu'il s'en brûle
une ; pour cela, tournez souvent le paquet dans le feu, sans l'en
sortir ; laissez reposer le soufflet de temps à autre, parce que
les lames qui sont dans le centre ne chauffent pas si vite que
celles des bords, attendu que ces dernières reçoivent la chaleur
des charbons, et que celles du centre ne la reçoivent que par
les lames voisines ; enfin le tout chauffera ensemble, moyennant
la modération des coups de soufflet ; sablez l'étoffe au moins
deux fois à chaque chaude, et forgez-la carrément, elle viendra
de la grosseur de 8 ou 9 lignes en carré ; après cela faites chauffer
l'étoffe bien rouge, mais pas à blanc ; ferrez un bout dans l'étau,
comme le fait voir la figure 2,
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et
avec de fortes tenailles tordez l'étoffe d'un bout à l'autre,
le plus régulièrement qu'il sera possible ; qu'elle ressemble
à une vis, comme le présente la figure 3 :
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maintenant
il faut l'aplatir et la forger à la longueur de 9 lignes, et à
l'épaisseur de 3 ; après cela pliez la en deux, de la manière
démontrée par la figure 4.
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Tout
ce travail, jusqu'ici, n'est que pour faire une couverture forte,
tenace, qu'aucun effort ne puisse, pour ainsi dire, faire casser
; c'est ce qu'on obtient par cette couverture. Les lames de fer
doux étant bien corroyées, mariées et entortillées avec celles
de l'acier, forment ensemble un corps extrêmement tenace et d'autant
meilleur, que le fer et l'acier sont plus pétris ensemble, pour
que chaque molécule de fer et chaque molécule d'acier soient fort
petites ; mais il n'est pas possible que ce corps fasse un tranchant
fin ; les veines de fer qui serpentent partout, l'en empêchent
; faites donc une lame de bon acier d'Allemagne, de la largeur
de 9 lignes, Figure 5, (qui est la largeur même de la couverture),
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et
tout au plus de 2 lignes et demie d'épaisseur ; sa longueur doit
être égale à celle de la couverture pliée en deux ; mettez cette
lame d'acier entre les deux lames de la couverture ; alors soudez
bien le tout ensemble par de bonnes chaudes grasses ; ne surchauffez
point la matière ; évitez de donner aucun coup de panne ; forgez-le
tout avec la tête du marteau ; abattez les quarres proprement,
afin que l'acier soit toujours au milieu de l'étoffe ; car de-là
dépend la bonté du tranchant ; étirez enfin cette étoffe de la
largeur et de l'épaisseur que vous aurez besoin.
Un
couteau fait avec l'étoffe de Damas, ne peut jamais casser que
par force, en le pliant et repliant à plusieurs reprise ; cela
fait donc un Couteau solide or si l'on donne à ce Couteau un juste
recuit, à la couleur du cuivre rouge, après l'avoir trempé de
la couleur de cerise, on pourra couper du fer très aisément, sans
que le tranchant s'ébrèche, pourvu néanmoins qu'on tienne le tranchant
un peu fort et rond ; mais si l'on ne fait faire ce couteau que
pour servir à couper les viandes à table, et qu'on ne veuille
pas badiner avec, on doit lui faire un tranchant plus fin, qui
ne soit recuit que couleur d'or, au lieu de celle du cuivre rouge
; alors on aura un bon instrument qui coupera bien, et gardera
longtemps un bon tranchant.
Si les hommes ne cherchaient pas souvent à lésiner sur ce qui
est utile, pendant qu'ils font de grosses dépenses sur les ornements
inutiles, au lieu d'un Couteau de chasse qu'on porte à son coté,
dont la lame ne coûte que 40 sols, et la monture 60 livres, on
aurait au contraire une lame de 60 livres, et une monture de 40
sols : rien ne peut faire une si bonne lame de Couteau de chasse,
qu'une étoffe de Damas telle que je la décris ; son utilité se
trouve dans le besoin. L'objet pour lequel cette étoffe est presque
indispensable, c'est le Damas à décoler. La figure 6 représente
celui dont se sert le sieur Sanson : il a 9 pouces de manche entre
A, B, et 3 pieds de lame ; sa largeur est, en bas, de deux pouces
et demi, et va très peu en diminuant jusqu'en C ; son épaisseur
en bas B, est de 3 lignes ; mais il va toujours en s'amincissant
jusqu'à la pointe, où il n'a qu'une ligne en C, cela le rend plus
flexible qu'une épée : il est à deux tranchants, et n'a point
de vive-arête ; au contraire, il est bien arrondi ; car une vive-arête
pourrait gêner dans les vertèbres, au lieu qu'étant arrondi et
bien poli, il glisse et tranche facilement : son tranchant des
deux coté est égal, et il est de la consistance d'un tranchant
de Canif à tailler les plumes ; il faut qu'il soit poli au long
sur une polissoire large d'au moins un pouce, et bien prendre
ses précautions pour ne pas se blesser ; il doit être affilé sur
une pierre à rasoir, ou bien sur une pierre du Levant d'un grain
fin : c'est ainsi que j'ai toujours fait.
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On
pense que forger l'étoffe de Damas, ou forger de l'acier pur,
c'est la même chose ; cependant il convient de la traiter avec
art, pour lui conserver toute sa vertu. Or il faut la forger avec
beaucoup de ménagement ; lorsqu'elle est bien soudée partout,
il ne faut pas lui donner des chaudes fondantes, et surtout pour
les dernières chaudes, ne la chauffer que couleur cerise, la dernière
couleur de bronze, et bien écrouir la matière à froid : il ne
faut pas s'embarrasser d'user des limes pour la limer, et limez
la sans la faire recuire.
La trempe, qui met la dernière main à la bonté de cette matière,
doit être faite avec toute l'attention possible. Pour telle pièce
que ce soit, gardez-vous bien de vous servir d'aucun fourneau
à vent ; mais tout uniment allumez par terre un feu de charbon
de bois en suffisante quantité pour environner et chauffer la
pièce ; lorsqu'il sera en braise, mettez la pièce au milieu, couvrez-la
partout ; ne vous servez pas de soufflet, agitez seulement l'air
avec une feuille de carton ou autre chose équivalente ; faites
attention qu'elle chauffe bien également partout, et sitôt qu'elle
sera couleur de cerise claire, plongez-la dans un grand baquet
d'eau et même dans un tonneau, si le Couteau de chasse ou le Sabre
est de trois pieds de longueur.
On
vante beaucoup certaines trempes, qui, à la vérité, n'ont rien
de mauvais ; mais comme nous discuterons cette matière ailleurs,
je n'en parlerai point ici ; je dirai seulement qu'à attention
égales pour la forge de l'acier et pour le degré de chaleur de
la trempe, l'eau seule bien froide vaut tous les ingrédients qu'on
pourrait y ajouter.
Quand
le Damas est poli, l'œil connaisseur juge s'il est vraiment de
Damas, parce qu'il distingue les veines de fer serpentant de couleur
blanchâtre, et les veines d'acier bleuâtres ; mais pour donner
la couleur effective au Damas, et faire ressortir les veines,
versez un peu d'eau forte sur la pièce (toute finie) ; étendez-la
tout le long de la lame avec une plume ; laissez l'eau forte l'espace
de 6 ou 7 minutes sur la lame ; après ce temps lavez cette lame
avec de l'eau claire ; essuyez-la, vous la trouverez damassée,
c'est à dire, qu'on distinguera aisément les veines d'acier de
celles du fer.
En
général, l'acier est sujet à avoir des veines ferreuses ; en conséquence
on peut être trompé, et acheter des lames d'acier qui ne soient
pas de Damas ; car il suffit de frotter un Couteau, un Rasoir,
etc., avec de l'eau forte, pour lui donner la couleur du Damas.
Or on peut en juger par la régularité des fleurs, par les veines
de fer qui serpentent avec une espèce de symétrie régulière ;
et on reconnaîtra aussi si l'acier de Damas, travaillé comme nous
l'avons dit, a été suffisamment corroyé ; car plus les veines
sont petites et également distribuées, et plus l'étoffe est bonne.
J'ai
vu aussi des Couteaux de chasse qui ont été vendus pour Damas,
et que j'ai soupçonné n'en pas être, en partie parce que les veines
noirâtres étaient trop profondes, et le tranchant ne coupait pas
le fer parce que ce tranchant était trop épais et hors d'état
de couper du bois. J'ai cherché à découvrir la manière de le damasser
aussi fortement qu'il était ; après quelques tentatives, j'ai
pris une lame d'acier polie, je l'ai couverte d'une couche de
cire que je faisais tomber d'une bougie allumée ; j'ai étendu
la cire bien également partout ; ensuite j'ai dessiné des traits
en quantité sur la cire, en découvrant l'acier avec une pointe
d'acier qui me servait de crayon ; après cela j'ai versé de l'eau-forte
sur la cire ; je l'ai laissée mordre ou dissoudre l'acier, qui
était découvert, pendant une heure ; je l'ai ensuite lavé : j'ai
découvert tout le secret.
La
figure 7 représente une lame de Couteau de chasse de Damas.
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