logo G.E.

L'ACIER DAMAS
Georges Emeriau France
Accueil
Le damas ?
Les liens
Bibliographie
Mon expérience
Les Forums
Recherche & Plan

e-mail G.E.

Le damas ? / Histoire / JJ Perret

Jean Jacques Perret, en 1771, écrivit et illustra le livre sans doute à ce jour encore le plus complet sur les techniques coutellières :

L'ART DU COUTELIER

Tous les aspects de la coutellerie sont couverts, le design, la préparation des matériaux, la fabrication, jusqu'à l'art de vendre des couteaux et de gérer un magasin...

Le vingt neuvième chapitre est consacré au damas

Mis à jour le 31 décembre 2000

CHAPITRE VINGT - NEUVIEME.

Manière de faire l'Acier façon de Damas.

Nous aurions pu parler de cet Acier au Chapitre où il a été question des étoffes, parce que c'en est une ; mais comme elle n'est pas propre à faire des tranchants fixes, nous avons cru en devoir traiter à part, quoique cet acier soit très bon pour faire des couteaux de table.

Cette étoffe qui imite le Damas naturel, à s'y tromper, devient coûteuse, tant par le temps que par le charbon qu'il faut employer, et par la diminution de la matière ; car si l'on veut en faire 3 livres pesant, il faut prendre 6 livres de matière.

Commencez par forger six lames de fer, exactement égales sur tous les sens ; supposons-les d'un pouce de largeur, d'une ligne d'épaisseur et de 12 pouces de longueur ; forger ensuite cinq lames d'acier, égales en tout à celles de fer, ce qui fait en tout onze lames ; plus on les multiplie, meilleure est l'étoffe : appliquez ces lames l'une sur l'autre ; mais observez de mettre une lame d'acier entre deux lames de fer, ce qui se fait en commençant et en finissant par une de fer ; ce qui doit s'exécuter quelque nombre qu'on emploie de lames ; cela devient sensible par la figure 1.

perret figure 1

Chaque lame est numérotée depuis I jusqu'à II, et sous chaque numéro, l'on voit la lettre qui désigne la matière ; A marque l'acier, et f marque le fer.

Cela étant ainsi disposé, prenez toutes ces lames avec des tenailles croches ; ferrez les branches des tenailles avec un S, comme il est indiqué Chapitre XII. Paragraphe II, pour les étoffes ; placez celles-ci dans un feu modéré ; faites en sorte que toutes les lames s'échauffent ensemble ; ne souffrez pas qu'il s'en brûle une ; pour cela, tournez souvent le paquet dans le feu, sans l'en sortir ; laissez reposer le soufflet de temps à autre, parce que les lames qui sont dans le centre ne chauffent pas si vite que celles des bords, attendu que ces dernières reçoivent la chaleur des charbons, et que celles du centre ne la reçoivent que par les lames voisines ; enfin le tout chauffera ensemble, moyennant la modération des coups de soufflet ; sablez l'étoffe au moins deux fois à chaque chaude, et forgez-la carrément, elle viendra de la grosseur de 8 ou 9 lignes en carré ; après cela faites chauffer l'étoffe bien rouge, mais pas à blanc ; ferrez un bout dans l'étau, comme le fait voir la figure 2,

perret figure 2

et avec de fortes tenailles tordez l'étoffe d'un bout à l'autre, le plus régulièrement qu'il sera possible ; qu'elle ressemble à une vis, comme le présente la figure 3 :

perret figure 3

maintenant il faut l'aplatir et la forger à la longueur de 9 lignes, et à l'épaisseur de 3 ; après cela pliez la en deux, de la manière démontrée par la figure 4.

perret figure 4

Tout ce travail, jusqu'ici, n'est que pour faire une couverture forte, tenace, qu'aucun effort ne puisse, pour ainsi dire, faire casser ; c'est ce qu'on obtient par cette couverture. Les lames de fer doux étant bien corroyées, mariées et entortillées avec celles de l'acier, forment ensemble un corps extrêmement tenace et d'autant meilleur, que le fer et l'acier sont plus pétris ensemble, pour que chaque molécule de fer et chaque molécule d'acier soient fort petites ; mais il n'est pas possible que ce corps fasse un tranchant fin ; les veines de fer qui serpentent partout, l'en empêchent ; faites donc une lame de bon acier d'Allemagne, de la largeur de 9 lignes, Figure 5, (qui est la largeur même de la couverture),

perret figure 5

et tout au plus de 2 lignes et demie d'épaisseur ; sa longueur doit être égale à celle de la couverture pliée en deux ; mettez cette lame d'acier entre les deux lames de la couverture ; alors soudez bien le tout ensemble par de bonnes chaudes grasses ; ne surchauffez point la matière ; évitez de donner aucun coup de panne ; forgez-le tout avec la tête du marteau ; abattez les quarres proprement, afin que l'acier soit toujours au milieu de l'étoffe ; car de-là dépend la bonté du tranchant ; étirez enfin cette étoffe de la largeur et de l'épaisseur que vous aurez besoin.

Un couteau fait avec l'étoffe de Damas, ne peut jamais casser que par force, en le pliant et repliant à plusieurs reprise ; cela fait donc un Couteau solide or si l'on donne à ce Couteau un juste recuit, à la couleur du cuivre rouge, après l'avoir trempé de la couleur de cerise, on pourra couper du fer très aisément, sans que le tranchant s'ébrèche, pourvu néanmoins qu'on tienne le tranchant un peu fort et rond ; mais si l'on ne fait faire ce couteau que pour servir à couper les viandes à table, et qu'on ne veuille pas badiner avec, on doit lui faire un tranchant plus fin, qui ne soit recuit que couleur d'or, au lieu de celle du cuivre rouge ; alors on aura un bon instrument qui coupera bien, et gardera longtemps un bon tranchant.

Si les hommes ne cherchaient pas souvent à lésiner sur ce qui est utile, pendant qu'ils font de grosses dépenses sur les ornements inutiles, au lieu d'un Couteau de chasse qu'on porte à son coté, dont la lame ne coûte que 40 sols, et la monture 60 livres, on aurait au contraire une lame de 60 livres, et une monture de 40 sols : rien ne peut faire une si bonne lame de Couteau de chasse, qu'une étoffe de Damas telle que je la décris ; son utilité se trouve dans le besoin. L'objet pour lequel cette étoffe est presque indispensable, c'est le Damas à décoler. La figure 6 représente celui dont se sert le sieur Sanson : il a 9 pouces de manche entre A, B, et 3 pieds de lame ; sa largeur est, en bas, de deux pouces et demi, et va très peu en diminuant jusqu'en C ; son épaisseur en bas B, est de 3 lignes ; mais il va toujours en s'amincissant jusqu'à la pointe, où il n'a qu'une ligne en C, cela le rend plus flexible qu'une épée : il est à deux tranchants, et n'a point de vive-arête ; au contraire, il est bien arrondi ; car une vive-arête pourrait gêner dans les vertèbres, au lieu qu'étant arrondi et bien poli, il glisse et tranche facilement : son tranchant des deux coté est égal, et il est de la consistance d'un tranchant de Canif à tailler les plumes ; il faut qu'il soit poli au long sur une polissoire large d'au moins un pouce, et bien prendre ses précautions pour ne pas se blesser ; il doit être affilé sur une pierre à rasoir, ou bien sur une pierre du Levant d'un grain fin : c'est ainsi que j'ai toujours fait.

perret figure 6

On pense que forger l'étoffe de Damas, ou forger de l'acier pur, c'est la même chose ; cependant il convient de la traiter avec art, pour lui conserver toute sa vertu. Or il faut la forger avec beaucoup de ménagement ; lorsqu'elle est bien soudée partout, il ne faut pas lui donner des chaudes fondantes, et surtout pour les dernières chaudes, ne la chauffer que couleur cerise, la dernière couleur de bronze, et bien écrouir la matière à froid : il ne faut pas s'embarrasser d'user des limes pour la limer, et limez la sans la faire recuire.

La trempe, qui met la dernière main à la bonté de cette matière, doit être faite avec toute l'attention possible. Pour telle pièce que ce soit, gardez-vous bien de vous servir d'aucun fourneau à vent ; mais tout uniment allumez par terre un feu de charbon de bois en suffisante quantité pour environner et chauffer la pièce ; lorsqu'il sera en braise, mettez la pièce au milieu, couvrez-la partout ; ne vous servez pas de soufflet, agitez seulement l'air avec une feuille de carton ou autre chose équivalente ; faites attention qu'elle chauffe bien également partout, et sitôt qu'elle sera couleur de cerise claire, plongez-la dans un grand baquet d'eau et même dans un tonneau, si le Couteau de chasse ou le Sabre est de trois pieds de longueur.

On vante beaucoup certaines trempes, qui, à la vérité, n'ont rien de mauvais ; mais comme nous discuterons cette matière ailleurs, je n'en parlerai point ici ; je dirai seulement qu'à attention égales pour la forge de l'acier et pour le degré de chaleur de la trempe, l'eau seule bien froide vaut tous les ingrédients qu'on pourrait y ajouter.

Quand le Damas est poli, l'œil connaisseur juge s'il est vraiment de Damas, parce qu'il distingue les veines de fer serpentant de couleur blanchâtre, et les veines d'acier bleuâtres ; mais pour donner la couleur effective au Damas, et faire ressortir les veines, versez un peu d'eau forte sur la pièce (toute finie) ; étendez-la tout le long de la lame avec une plume ; laissez l'eau forte l'espace de 6 ou 7 minutes sur la lame ; après ce temps lavez cette lame avec de l'eau claire ; essuyez-la, vous la trouverez damassée, c'est à dire, qu'on distinguera aisément les veines d'acier de celles du fer.

En général, l'acier est sujet à avoir des veines ferreuses ; en conséquence on peut être trompé, et acheter des lames d'acier qui ne soient pas de Damas ; car il suffit de frotter un Couteau, un Rasoir, etc., avec de l'eau forte, pour lui donner la couleur du Damas. Or on peut en juger par la régularité des fleurs, par les veines de fer qui serpentent avec une espèce de symétrie régulière ; et on reconnaîtra aussi si l'acier de Damas, travaillé comme nous l'avons dit, a été suffisamment corroyé ; car plus les veines sont petites et également distribuées, et plus l'étoffe est bonne.

J'ai vu aussi des Couteaux de chasse qui ont été vendus pour Damas, et que j'ai soupçonné n'en pas être, en partie parce que les veines noirâtres étaient trop profondes, et le tranchant ne coupait pas le fer parce que ce tranchant était trop épais et hors d'état de couper du bois. J'ai cherché à découvrir la manière de le damasser aussi fortement qu'il était ; après quelques tentatives, j'ai pris une lame d'acier polie, je l'ai couverte d'une couche de cire que je faisais tomber d'une bougie allumée ; j'ai étendu la cire bien également partout ; ensuite j'ai dessiné des traits en quantité sur la cire, en découvrant l'acier avec une pointe d'acier qui me servait de crayon ; après cela j'ai versé de l'eau-forte sur la cire ; je l'ai laissée mordre ou dissoudre l'acier, qui était découvert, pendant une heure ; je l'ai ensuite lavé : j'ai découvert tout le secret.

La figure 7 représente une lame de Couteau de chasse de Damas.

perret figure 7

page précédente
Page suivante