logo G.E.

L'ACIER DAMAS
Georges Emeriau France
Accueil
Le damas ?
Les liens
Bibliographie
Mon expérience
Les Forums
Recherche & Plan

e-mail G.E.

Le damas ? / Histoire / JF Clouet

Instruction sur la fabrication des lames figurées dites damas

MÉMOIRE DE CLOUET

Publié dans le Journal des Mines, vol. 5 n° 90. Ventose an XII (1803)

Mise à jour 28 décembre 2000

Jean François Clouet était professeur de chimie à l'Ecole du Génie de Mézières, lorsqu'il découvrit le moyen de faire en grand l'acier fondu ; il se hâta de publier ce moyen et de communiquer toutes les observations de pratique dont il avait reconnu l'importance. Lorsque la guerre de la Révolution éclata, il fut appelé par le comité de Salut Public et c'est sur son invitation qu'il a composé, l'Art de faire des lames figurées, l'Art de fondre des canons, l'Art de fabriquer des armes blanches, l'Art de convertir le fer en acier, etc.

I. - L'art de la fabrication des lames figurées consiste principalement à étirer l'acier dont on veut les former en lames très minces ou en baguettes de différentes formes ; à réunir ensuite ces lames ou ces baguettes en faisceaux et à les souder ensembles. Cette opération doit être faite au feu de charbon de bois. Il faut se servir de terre ou de sable pour conserver à l'acier sa nature et avoir attention de ne point l'altérer par de trop fortes chaudes qui auraient aussi l'inconvénient de détruire les dessins qu'on se proposerait d'exécuter.

II. - Pour fabriquer des lames figurées, il faut employer des aciers de la meilleure qualité. On peut aussi introduire dans cette fabrication du fer qui doit être bien corroyé et nerveux ; s'il est nécessaire que les lames soient élastiques et résistantes, il ne faudra faire entrer que de l'acier dans leur composition. On pourra cependant, sans aucun inconvénient, introduire du fer non seulement dans la partie voisine de la poignée, qui ne doit pas beaucoup faire ressort, mais encore dans le reste de la lame ; on augmentera même sa dureté si toutefois on se sert en petite quantité, d'un excellent fer bien corroyé et si à l'aide d'une manipulation soignée, on conserve à chacune de ces matières employées, la nature qui lui est particulière. Les lignes des dessins qu'on exécutera en suivant cette méthode seront d'autant plus apparentes, qu'on aura mieux conservé les qualités qui sont propres, d'une part à l'acier et de l'autre au fer. En général, plus les aciers qu'on emploie, diffèrent en finesse, mieux ils se distinguent dans le dessin. C'est pour cette raison que l'acier et le fer donnent les figures les plus apparentes. La plus petite différence qui se trouve entre les aciers dont on se sert devient très sensible dans la composition des lames, si on a soin de ne pas altérer les aciers par de trop fortes chaudes ; ainsi on peut employer pour la composition des lames figurées, plusieurs sortes d'aciers de différents degrés de finesse. On peut y aussi introduire de l'acier fondu qui a sa manière particulière d'être ; c'est d'après l'usage auquel on destine les lames qu'on se propose de fabriquer, qu'on doit se décider à employer telle on telle espèce d'acier et qu'on doit déterminer la portion de fer qu'il convient d'employer.

III. - Le fer qu'on destinera à la composition des lames figurées, doit non seulement être de première qualité, mais il faut encore qu'il ait été bien travaillé et qu'il ait acquis un nerf fin et serré. Alors la portion de fer qu'on introduit, donne du corps à l'acier et met dans le cas de donner au tranchant de la lame, si c'est une lame de ce genre qu'on fabrique, une dureté très grande, en conservant à cette lame toutes les qualités qu'elle doit avoir. Dans ce cas, on doit composer la lame de trois pièces, savoir : de deux bandes d'étoffes et d'une bande d'acier pur qu'on met entre les deux premières. Lorsque les étoffes sont d'acier pur sans mélange de fer, on peut en composer entièrement la lame ; mais cependant il vaut encore mieux, si c'est une lame à trancher, employer de l'acier fin pour le tranchant. J'observe aussi que tous les aciers qu'on fait entrer dans la composition de ces lames, même ceux du tranchant, doivent être corroyés, excepté l'acier fondu.

IV. - On voit que pour la composition des étoffes figurées, il faut prendre des aciers de différentes qualités, par exemple, de l'acier fin et de l'acier à ressort, nu des fers nerveux ; on pourrait aussi n'employer que de l'acier fin, mais il exige plus d'attention dans le travail et un corroyage plus long. Pour préparer les étoffes il faut commencer par étendre en laines très minces, de 2 millimètres au plus d'épaisseur sur 25 millimètres au moins de largeur, les aciers qu'on a choisis ; on en forme des trousses composées d'une douzaine de ces lames au moins, en mettant alternativement une lame d'acier à ressort ou de fer et une lame d'acier fin. Les lames d'acier extérieures doivent toujours être de l'acier le moins fin ou de fer, pour obtenir un dessin suffisamment net. Par cette méthode il faut au moins une trentaine de lames soudées ensemble ; mais il est facile d'y parvenir en faisant l'opération en deux fois. La première opération peut donner un barreau composé de douze lames ; en coupant ce barreau en trois et en soudant ces trois barreaux ensemble, on pourra faire un seul barreau de trente six doubles, ou qui contiendra trente six lames parallèles. On compose aussi ces trousses de petits carillons ou de baguettes façonnées dans des estampes et ayant différentes formes suivant les dessins qu'on veut se procurer sur la lame qu'on fabrique.

V. - On réunit ensemble toutes les lames ou petits barreaux ayant différentes figures, au moyen d'anneaux quarrés ou cylindriques, suivant la forme du faisceau qu'on veut souder et on serre avec des coins afin de les assujettir solidement, ensuite on chauffe le bout avec précaution, on l'enduit d'une couche de terre à souder ; on a soin de ménager le feu, afin qu'il ait le temps de pénétrer. Lorsque le bout est suffisamment chaud, on le soude, ensuite on passe au bout opposé sur lequel on fait la même opération. Le milieu devient alors plus facile à traiter, les deux bouts étant assujettis. Il faut surtout avoir attention de ne point trop chauffer. La beauté et la bonté de ces lames, consistent principalement dans ceci. Il faut que chacune des matières qu'on emploie se conserve sans se dénaturer. Il est nécessaire que l'acier conserve sa qualité et le fer la sienne, de trop, fortes chaudes les confondraient ensemble.

VI. - La méthode générale à suivre pour obtenir les étoffes figurées et leur donner toute la solidité qu'on peut désirer, consiste principalement à disposer les soudures suivant la longueur des lames dont elles sont composées ; des lames soudées obliquement seraient peu solides, surtout s'il s'y rencontrait quelque défaut de soudure. On sait en général que l'acier et le fer résistent moins dans le sens de leur largeur que suivant leur longueur, ainsi, on ne pourrait pas avec sûreté, se servir d'une méthode semblable à celle qu'on emploie pour la mosaïque, pour composer les lames, d'ailleurs le travail en serait difficile et long. Mais on peut parvenir au même but et produire même un plus bel effet, en suivant la méthode ordinaire de forger le fer et l'acier suivant leur longueur et de les souder de même. De cette manière on compose les faisceaux qui doivent donner les étoffes figurées, de prismes ou de cylindres ajustés les uns à côté des autres ; ce qui devient facile à exécuter. Lorsque le faisceau est formé et soudé, on le tord en lui faisant faire autour de son axe un certain nombre de tours déterminés par la forme du dessin qu'on veut exécuter sur la lame.

VII. - Il n'est pas toujours nécessaire non plus, de tordre les barres d'étoffes préparées pour se procurer certains dessins. Les barreaux composés de barres parallèles, peuvent déjà donner une assez grande variété de figures formées, par des lignes dont le contour est déterminé et qui sont emballées les unes dans les autres. Ces figures s'obtiennent facilement en gravant avec le burin et en creux sur le sens de la largeur des lames. On en coupe ainsi un certain nombre, qui se présenteront par leur tranchant à l'endroit buriné lorsqu'on forgera le barreau pour l'amincir et former la lame. On aura attention de pas faire cette opération sur une barre trop mince et de tracer les dessins plus petits qu'on ne veut les avoir sur la lame finie.

VIII. - Cette méthode quoique susceptible de donner en la variant, un assez grand nombre de dessins, ne donne pas encore tous ceux qu'on pourrait désirer; mais on pourra se les procurer par la méthode suivante, qui consiste à tordre, d'une certaine quantité, des barreaux d'étoffes composés de plusieurs baguettes de différentes formes déterminées d'après le dessin qu'on veut se procurer sur la lame et à partager en deux ce barreau suivant sa longueur, par une section qui passe par son axe de torsion. C'est dans le plan de cette section que se trouve la figure qu'on veut avoir, c'est par le milieu du barreau et par son axe de torsion qu'il faut faire passer le plan sur lequel on veut avoir les figures ; c'est l'endroit où il se trouve le plus d'espace pour placer les dessins. Cependant, quoique le plan des figures passe par l'axe de torsion, il faut avoir soin que ces figures ne soient pas coupées par cet axe ; si elles en étaient trop près ou trop loin, elles disparaîtraient ; en les tenant un peu éloignées, elles auront plus de régularité et seront plus faciles à exécuter. La méthode de tordre et de fendre ensuite le cylindre ou le prisme tors, fait paraître dans la section qui passerait par l'axe de torsion, toutes les veines et les nuances de fer et d'acier qui peuvent s'y rencontrer, de manière qu'un faisceau, composé au hasard d'acier de différentes qualités donnera un dessin plus ou moins bigarré, suivant la finesse des veines qui s'y rencontreront. Pour fendre après la torsion, le cylindre ou faisceau composé de baguettes, il faut l'aplatir et lui donner en largeur au moins le double de son épaisseur, ensuite avec une tranche mince, on le partagera à chaud dans toute sa longueur suivant son axe ; cependant il est nécessaire d'observer que si on veut avoir bien exactement le dessin qu'on a déterminé, il faut conserver à une des moitiés un peu plus de largeur qu'à l'autre, cet excès d'épaisseur sera enlevé par le feu, la lime ou l'aiguisage ; quant à la moitié la plus mince, elle servira pour une lame dont le dessin offrira moins de précision.

IX. - La méthode de tirer l'acier en baguettes ou en lames qu'on sonde ensuite ensemble pour en composer les lames d'armes blanches, est fort bonne ; elle est usitée dans les fabriques de bonnes lames, c'est ainsi qu'on peut obtenir de très bonnes armes et qu'on peut parvenir à leur donner la dureté qu'un doit désirer, en ménageant bien les aciers à la chaufferie et en les travaillant au charbon de bois. On ne peut pas faire de bonnes lames si on ne corroie pas l'acier avant de l'employer ; lorsqu'on se sert des aciers à fusion comme ceux d'Allemagne, il est encore plus nécessaire de suivre cette méthode à cause de leur grande inégalité, on est même obligé de réitérer plusieurs fois cette opération sur ces aciers ; ce qui peut se faire sans de trop grands frais dans les usines mues par l'eau.

X. - Le corroyage de l'acier lui donne le corps nécessaire pour tout ce qui doit avoir une forte résistance. Il se forme lorsqu'on chauffe les lames à corroyer, une petite surface de fer sur chacune. Cette petite surface donne du corps à l'acier et en augmentant les surfaces, on augmente la résistance. Lorsque l'acier est trop fin, on lui donne du corps par le corroyage soit en le mêlant avec du bon fer, soit seulement en le corroyant un grand nombre de fois ; mais on abrège beaucoup ce corroyage si nécessaire, en faisant légèrement calciner les lames d'acier ou même en les faisant rouiller, ce qui vaut mieux que d'y mêler du fer qui ne serait pas d'excellente qualité. Le corroyage produit encore un autre bon effet, il rend l'acier plus égal, plus uniforme ; l'acier de cémentation même se perfectionne aussi par cette opération car, quoiqu'il soit plus égal que celui de fusion, il ne laisse pas que d'avoir des parties tendres et dures qu'on mêle et qu'on distribue d'une manière plus uniforme par le corroyage et si on veut établir des fabriques de bonnes lames, il ne faut pas négliger cette opération, elle est essentielle.

XI. - Quoique la méthode employée par les peintres en mosaïque et les ébénistes pour faire leurs dessins, ne soit pas celle qui conviendrait seule pour les figures et les dessins qu'on voudrait exécuter sur les lames, à cause des inconvénients dont j'ai parlé plus haut, cependant on peut s'en servir partiellement pour quelques petits détails, avec l'intention de disposer obliquement les pièces dont on formera le dessin. Si les dessins qu'on veut exécuter, doivent être répétés dans différentes lames ou sur la même, il faut former par cette méthode des barreaux dont on coupera ou sciera des portions pour les employer dans des cases ou on voudra placer ces dessins particuliers ; on peut aussi employer cette portion de barre figurée dans la "méthode de torsion.

XII. - Je ne vois actuellement aucune sorte de dessin qu'on ne puisse exécuter par le moyen des trois méthodes que je viens d'indiquer, 1° savoir, celle des lames parallèles, 2° celle de torsion et 3° celle des mosaïques. La méthode des lames parallèles, c'est la première dont j'ai parlé, consiste à creuser avec le burin une étoffe composée de lames parallèles. Ces creux et ces entailles faits avec le burin se remplissent et se remettent de niveau avec le reste de la lame dans le travail et forment des figures composées de lignes à peu près parallèles et enfermées les unes dans les autres. La méthode de torsion consiste à former un faisceau composé de différentes baguettes ou lames qui, réunies, offrent un dessin qui ne s'aperçoit qu'au bout de la barre qu'on tord ensuite après l'avoir bien soudée et qu'on fend en deux suivant son axe de torsion pour développer les figures qu'on veut faire paraître. La méthode des mosaïques, qui est employée dans celle de torsion pour la composition des barreaux cylindriques qu'on veut tordre, consiste à disposer et à ajouter à coté les unes des autres, les différentes pièces dont on veut former un dessin ; il est bon de faire ces pièces longues afin d'en composer un faisceau qu'on puisse souder facilement et dont on scie un bout qu'on incruste dans la lame pour l'y souder ensuite comme je l'ai indiqué plus haut ; on ne fait des barres pour être employées de cette manière que lorsqu'on a un certain nombre de figures semblables à répéter sur différentes lames ou sur plusieurs points de la même lame.

Page précédente
Page suivante