La
grande vogue dont le canon en damas pour fusils de chasse, n'a
cessé de jouir depuis de si longues années, lui a valu dernièrement
l'honneur d'un nouvel assaut de la part des Fabricants de canons
acier. Les différentes expositions internationales et hier encore
celle d'Anvers, ont déjà proclamé à suffisance l'indiscutable
supériorité du canon en damas.
Qu'il soit permis cependant à l'Union des Fabricants de canons
de la vallée de la Vesdre de faire connaître les causes de cette
supériorité, causes tellement nombreuses et convaincantes que,
quelque soit le progrès dont se targue le canon en acier, il ne
peut légitimement espérer rivaliser jamais avec le canon en damas.
Les matières premières, fer et acier, devant servir à la fabrication
de canons en damas, sont toujours de bonne qualité. Ces matières
par un mélange raisonné de fer et acier composent une masse ou
paquet dont la section mesure de 14 à 16 cent. []. Ce paquet passe
une première fois au laminoir et en sort corroyé à 40 m/m [].
La barre ainsi obtenue est alors découpée à billettes d'une longueur
déterminée qui sont remises au four et passées à nouveau au laminoir
pour en sortir à 6 ou 7 m/m carrés. Ces baguettes sont alors chauffées
à blanc et tordues, puis assemblées et soudées au marteau par
groupe de 2-3-4-6 baguettes selon la finesse de damas que l'on
veut obtenir. Ces baguettes sont alors martelées pour arriver
à une bande ou ruban de section 14 X 4. Cette bande est ensuite
enroulée en spirale sur un mandrin. De là, on passe à la forge
où l'ouvrier soude au marteau et un à un tous les joints de la
spirale par une série de trois chaudes pour chaque joint. C'est
après ce travail seulement que l'on a l'ébauche du canon. Pour
en arrivée là, la matière a été laminée à deux reprises et travaillée
deux fois au marteau. Inutile d'ajouter qu'après un tel travail
cette matière a acquis une élasticité, une ténacité et compacité
sans précédent. Dans le canon en damas la matière ainsi travaillée
est non seulement excellente, mais employée de façon à obtenir
la plus grande résistance.
En effet sur un canon de fusil, c'est la section transversale
qui souffre le plus et dans les canons en damas par suite de l'enroulement
en spirale, la section du canon correspond ou à peu près à la
section longitudinale de la bande ou ruban, autrement dit, la
section la plus fatiguée correspond à la section la plus résistante.
Tout canon de fusil ayant été éprouvé avec une charge double de
celle que peut contenir la cartouche qu'emploie le chasseur, peut
faire supposer l'impossibilité d'un accident ; néanmoins, parfois
un canon crève dans les mains du chasseur. Cet accident ne se
produit pas avec le canon en damas, car, grâce à cette ténacité
et cette élasticité dont nous parlions tantôt, il peut supporter
la vibration d'un nombre infini de coups tirés, tandis que le
canon acier dont la matière n'a subi qu'une seule opération ne
présente pas la même résistance et cède après un certain nombre
de coups tirés, la section transversale perpendiculaire au laminage
éclate et se brise comme verre ; principalement en hiver, ces
accidents sont des plus fréquents.
Nous admettons volontiers que le canon acier convienne pour l'arme
de guerre, laquelle demande un canon de forte épaisseur de métal,
mais il ne pourra jamais remplacer le canon en damas pour fusil
de chasse.
En effet, une condition essentielle du canon de fusil chasse est
d'unir à une grande légèreté les qualités de résistance et d'élasticité.
Ces qualités de résistance et d'élasticité sont précisément la
résultante de la combinaison des parcelles de fer et d'acier disposées
entre elles et travaillées d'une façon si soigneuse que le manque
d'habileté de l'ouvrier ou les vices de la matière employée se
révéleraient d'une façon apparente dans le dessin qui constitue
le "damas". Quoi d'étonnant après cela si le canon en damas demeure
sans rival sur les principaux marchés de l'ancien et du nouveau
monde ? Quoi d'étonnant que Liège reste le fournisseur attitré
de la France pour, les fusils et canons fins malgré St-Etienne,
de l'Allemagne, de l'Angleterre, malgré Londres et Birmingham
? Car, c'est en vain que l'armurerie étrangère a tenté de fabriquer
le canon damas, les résultats auxquels elle est arrivée n'ont
que rehaussé la supériorité réellement incontestable des produits
liégeois. L'insuccès des diverses tentatives faites à l'étranger
s'explique facilement si l'on veut se rendre compte de la complexité
de la fabrication du canon en damas et de l'importance de ce facteur
que l'étranger est incapable de se procurer "l'habilité de l'ouvrier".
Étant purement manuelle, cette fabrication n'a pu jusqu'à ce jour
trouver l'application de moyens mécaniques.
Cette impuissance à enlever à la Belgique ce monopole de fabrication
a nécessairement suggéré à l'étranger la recherche d'une substitution
aux canons en damas, d'autres produits imitateurs contre
lesquels le chasseur doit être mis en garde.
Rien ne pouvait attester d'une façon plus éclatante la supériorité
du canon en d'amas que la conduite de certains armuriers qui,
par une concurrence aussi déloyale que trompeuse, écoulent leurs
produits sous le couvert d'un faux damas, lequel consiste
à affubler un vulgaire canon en fer ou en acier, d'une couche
de vernis imitant le vrai damas par un dessin habilement combiné.
D'autres concurrents plus loyaux et plus scrupuleux cherchent
seulement à détrôner le canon en damas par le canon en acier.
S'inspirant de la vogue dont jouit l'acier dans la grande industrie
sidérurgique, ils font une réclame pompeuse en faveur, de ce nouveau
canon.
Après ce qui a été dit plus haut, nous n'hésitons pas à croire
que cette tentative sera aussi vaine que les autres, elle ne servira
qu'à affirmer plus hautement encore la qualité et la valeur de
nos produits.
La sanction officielle que reçoivent nos canons en subissant les
épreuves rigoureuses exigées par le Banc d'épreuves des armes
à feu de Liège, institution de l'Etat Belge, vient confirmer éloquemment
notre témoignage. Aussi, combien sont rares les accidents provenant
de fusils de chasse pourvus de canons en vrai damas.
Au sujet du Banc d'épreuves, il convient de consacrer quelques
mots à cette institution nationale dont la haute direction est
confiée par le Gouvernement à un homme d'une exceptionnelle compétence
en la matière, Monsieur Jules Polain, Ingénieur et Docteur en
droit. Par ses vastes connaissances et son dévouement incessant,
il a fait de cette institution un établisse unique en son genre,
contribuant hautement par là à la renommée universelle de l'armurerie
Belge.
Dans cet établissement entre par jour des milliers de canons en
damas et en acier et l'on est étonné de voir combien est peu grand
le déchet pour les premiers.
Rappelons de nouveau pour terminer ce qui fait la supériorité
des canons en damas, c'est qu'avant de se rompre, ils indiquent
toujours aux tireurs le danger par un gonflement, tandis que les
canons en acier se brisent soudainement causant souvent des accidents
très graves.
(S.) L'Union des Fabricants de canons de fusils
de la Vallée de la Vesdre
lez-Liége (Belgique).
A Messieurs les Président et Membres
de la Chambre des Représentants
à Bruxelles.
Messieurs,
Le Comité de l'Union des Fabricants de canons de la Vallée de
la Vesdre, prend la respectueuse liberté de signaler à votre bienveillante
attention la situation qui est faite à l'industrie armurière :
La crise dont elle souffre devient de jour en jour plus intense.
A Liège, la ville par excellence des armes à feu, et dans la banlieue,
le travail devient de plus en plus rare, les salaires sont descendus
à un prix dérisoire.
Quelles
sont les causes de ce malaise général ? Elles sont multiples,
et nous nous permettons de vous signaler les plus récentes :
1°
Le protectionisme à outrance qui sévit dans tous les pays
voisins ainsi qu'aux Etats-Unis menaçait de nous fermer tous les
débouchés importants.
Pour prévenir cette éventualité, les Fabricants d'armes de Liége
ont été poussés à produire des armes à des prix extrêmement bas.
Pour y arriver, la réduction du salaire de tous les producteurs
demeurant impuissante, il fallait atteindre la qualité même du
produit. C'est ainsi qu'au canon en damas on a été amené à substituer
le canon dit acier. Il serait oiseux de montrer la supériorité
du canon damas sur le canon acier qui ; s'il peut convenir pour
le fusil de guerre à forte épaisseur, est dangereux pour le fusil
de chasse dont la légèreté constitue une qualité indispensable
; or, cette légèreté rend le canon acier inapte, à cause du manque
d'élasticité de la matière employée, à résister aux vibrations
produites par le tir répété.
Cette supériorité de canon damas est trop appréciée par les connaisseurs
pour nous laisser émouvoir par la concurrence que vient nous faire
le canon acier.
Aussi,
Messieurs, n'aurions nous pas recours à votre haute action, s'il
n'y avait pour notre industrie une seconde cause de ruine.
2° Pour que cette substitution du canon acier au canon damas ne
se révélât point à l'acheteur inexpérimenté on a pris l'habitude
dans les fabriques d'armes de Liège de revêtir ce canon acier
d'un vernis et de produire à l'aide de procédés ingénieux un dessin
ressemblant s'y m'éprendre à celui des canons en damas véritable,
en ayant bien soin d'apposer sur la bande les noms des plus fins
de nos damas, tels que : "Damas Bernard", "Damas Turc", "Damas
Crollé", etc.
Il
est nécessaire de dire ici que le canon en damas, grâce aux combinaisons
variées de parcelles de fer et d'acier habilement mélangées et
travaillées, fait ressortir, sous l'action de l'acide sulfurique,
un beau dessin bien connu des chasseurs. Ce dessin transperce
le canon d'outre en outre, et n'est nullement un simple vernis
altérable comme celui dont on recouvre le canon acier.
Cette
contrefaçon n'a pas seulement pour résultat de diminuer la production
du canon damas véritable dont le prix est supérieur, mais encore
d'endosser à celui-ci la responsabilité des nombreux accidents
de chasse auxquels donne lieu le canon acier.
Il y a là pour l'Industrie canonnière de la Vallée de la Vesdre
une cause de préjudice chaque jour plus considérable. D'une part,
l'acheteur non initié est induit en erreur sur la qualité de la
marchandise ; d'autre parti cette contrefaçon nuit singulièrement
à la vente du damas véritable. Dans ces circonstances, la situation
créée aux fabricants de canons et aux ouvriers armuriers de la
Vallée de Vesdre est des plus critiques.
L'Union des Fabricants de canons a cru ne pouvoir mieux faire
que de vous prier, Messieurs, de défendre par une loi efficace,
une concurrence déloyale.
Il faut de toute nécessité que l'étranger sache la nature du produit
qu'il achète, que les canons faux damas soient vendus comme tels,
qu'on puisse à première vue discerner le vrai du faux damas.
Rien de plus simple d'ailleurs : de même que par la loi sur la
falsification des denrées alimentaires, les négociants en beurre
sont tenus de placer sur leur marchandise une étiquette permettant
de distinguer le beurre de la margarine, l'Union des Fabricants
de canons sollicite la confection d'une loi obligeant les Fabricants
d'armes Liégeois de graver désormais sur les canons de fusil faux
damas la mention : "Faux Damas" ou la traduction de la
dite mention en langue du pays auquel le fusil est destiné.
Nous osons espérer, Messieurs, que le Parlement aura a honneur
de contribuer dans la mesure de son possible, à relever l'industrie
séculaire et essentiellement Belge des canons en damas.
Nous vous prions d'agréer, Messieurs, l'hommage de notre respectueuse
considération.
L'Union des Fabricants de canons de la Vallée de la Vesdre
Liège (Belgique.)
|